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ABIGAÏL.

— Si ces paroles ne touchent pas vos cœurs, c’est qu’ils sont plus durs que des pierres de taille, s’écria Proddy, en s’essuyant les yeux ; n’êtes-vous donc pas de vrais Anglais, vous qui permettez à deux canailles de mounsers, à des mendiants, d’insulter de cette manière votre illustre général et son ami le lord-trésorier ? Si vous n’avez pas honte de votre conduite, moi j’en rougis pour vous.

— Des canailles de mounsers ! remarqua un de ceux qui étaient présents. Eh quoi ! prétendez-vous que ces deux manants en guenilles sont Français ?

— Mais certainement ! répondit Proddy ; ce sont aussi positivement des Français que moi je suis le cocher de Sa Majesté.

— Grand Dieu ! C’est monsieur Proddy en personnel s’écrièrent plusieurs personnes ; nous le connaissons tres-bien.

— Je voudrais que vous me connussiez encore mieux et que vous fissiez en sorte d’imiter mes manières, repartit le cocher ; car alors vous agiriez autrement. Voyez comme ces deux poltrons tremblent de frayeur ! Est-ce à de pareils hommes qu’il faut permettre d’insulter le duc de Marlborough ?

— Non, non, crièrent cent personnes à la fois. Nous ne savions pas que ces deux hommes étaient des Français. Nous vous demandons bien pardon, monsieur Proddy, de ce que nous avons fait. Nous avons eu tort, grand tort !

— Ce n’est pas à moi qu’il faut demander pardon, reprit Proddy, c’est au duc. Montrez que vous regrettez d’avoir agi de la sorte en vous conduisant mieux à l’avenir.

— Nous n’y manquerons pas, répliquèrent les gens plus proches de Proddy ; que pourrions nous faire pour vous être agréables ?

— Criez trois fois : Vive le duc ! et puis donnez une bonne leçon à ces misérables, » répondit le cocher royal.

Trois formidables acclamations suivirent l’allocution du cocher, et les deux Français, atterrés à la vue du changement qui s’était opéré dans les dispositions de la foule, profitèrent d’une occasion qu’ils crurent opportune pour essayer de s’échapper.

« Arrêtez-les ! hurla le sergent. Arrêtez-les !

— Nous les tenons ; ne craignez rien, » dit un des assistants. Bimbelot et Sauvageon implorèrent en vain ceux qui s’étaient emparés d’eux : on ne voulut point leur rendre la liberte.