Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
ABIGAÏL.

Un bruyant éclat de rire accueillit ces paroles, et plusieurs voix hurlèrent ces mots : « Au feu ! au feu !

— On l’y jettera tout à l’heure, répliqua le drôle ; mais avant, permettez-moi de vous montrer son camarade.

— Le voilà ! s’écria l’autre porteur, un grand diable fort maigre emmaillotié dans une large casaque d’uniforme, et dont le nez et le menton ressemblaient fort à un case-noisette. Regardez-le ! répéta-t-il, exhibant un autre mannequin au masque ridiculement féroce, couvert d’un habit militaire rapé, d’un chapeau galonné et chaussé d’une paire d’énormes bottes à genouillères. Voici le général en chef, le grand Malbrook ! continua l’homme au grand nez en montrant l’effigie aux spectateurs, qui lui répondirent par de joyeuses clameurs, mêlées pourtant de quelques signes de désapprobation ; ce sont les mêmes bottes qu’il portait à… »

Un mouvement insolite qui se fit dans la foule interrompit ce discours, et une voix de stentor s’écria : « C’est un mensonge, un mensonge infernal ! ce ne sont pas ses bottes ! »

Et, tout en disant ces mots, Scales se précipita sur le lieu de la scène, suivi de Proddy. Le sergent avait vu ce qui se passait du haut du perron de Marlborough-House, et s’était déterminé, malgré le péril de l’entreprise, à mettre un terme à ces grossières insultes.

Aussitôt que Scales fut parvenu près de la chaise à porteurs, il arracha le mannequin des mains de l’homme qui le tenait, et le foula aux pieds.

« Honte à vous ! s’écria-t-il en s’adressant au peuple ; est-ce ainsi que vous traitez le défenseur de votre pays et le vainqueur de vos ennemis ? Est-ce ainsi que vous honorez celui qui a remporté les victoires de Blenheim et de Ramillies ?

— Qui êtes-vous, pour nous parler ainsi ? observa quelqu’un.

— Qui je suis ? répondit le sergent. Je suis un homme quni a le droit de parler, parce qu’il a suivi le duc dans toutes ses campages ; un homme qui a versé son sang à ses côtés sur les champs de bataille, et qui le verserait volontiers pour lui-même ; un homme qui eût cent fois mieux aimé tomber sur le champ de bataille de Malplaquet que de vivre assez longtemps pour voir son général aussi grossièrement insulté par coux qui lui doivent honneur et respect.