Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
ABIGAÏL.

parmi les basses classes du peuple une étrange unanimité d’opinion : tous, comme un seul homme, avaient épousé la cause de Sacheverell ; tous avaient flétri sa mise en accusation comme un acte injuste et hostile à l’Église, et tous avaient prodigué à ses persécuteurs les épithètes les plus outrageantes.

Le procès tirait donc à sa fin ; mais comme l’accusateur public, en répondant aux défenseurs du docteur, injuria ce dernier avec véhémence, l’indignation de la foule fut telle que, sans les précautions extrêmes qui avaient été prises, rien n’aurait pu empêcher une émeute plus terrible que la première.

Le peuple ne se montra pas seul intéressé à cette controverse qui devint le texte de conversation général de toutes les classes de la société. La plus fièvreuse anxiété régnait dans la capitale et dans les principales villes de province. Les affaires publiques étaient totalement suspendues, et on attendait avec impatience la clôture des débats, comme le seul moyen de mettre un terme à la fermentation générale de la nation.

La dernière séance du procès eut lieu le 20 mars. Quand les deux parlements furent entrés en séance, le chancelier général, ayant dépouillé les votes des lords, déclara Sacheverell coupable, à une majorité de dix-sept voix.

On voulut alléguer l’incompétence, mais cette proposition fut rejetée, et le jour suivant l’arrêt fut prononcé.

Il portait : que Sacheverell s’abstiendrait de prêcher pendant trois ans, et que son discours serait brûlé devant Royal-Exchange par la main du bourreau, en présence du lord-maire et de ses shériffs.

Cette sentence toute bénigne, qui montrait jusqu’à l’évidence la faiblesse des ministres, fut reçue par les adversaires du cabinet, comme aussi par le peuple, avec les démonstrations non équivoques d’une vive satisfaction. Dans plusieurs tavernes, on distribua gratuitement des liqueurs à la foule ; des groupes nombreux, composés des partisans du haut clergé, se promenèrent dans les rues, portant des branches de chêne enroulées à leurs chapeaux, et vociférant des chants d’actions de grâces, composés en l’honneur de la délivrance de leur champion.

On alluma des feux de joie au coin des rues, et la foule s’amassait tout autant pour boire à la santé du docteur et à