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ABIGAÏL.

Le procès s’était prolongé une semaine et le conseil de la défense avait répondu aux différents articles de la mise en accusation, lorsque Sacheverell prononça le discours qui avait été composé pour lui par Atterbury, Smallridge et Friend, et revu par Harcourt et par Phipps : il le déclama avec entraînement et avec conviction. Ce discours éloquent produisit sur la plupart des auditeurs une profonde impression.

La reine elle-même parut fort émus. Il importait peu que le discours fût diamétralement opposé aux doctrines invoquées par la mise en accusation, il importait peu qu’il fût audacieux et qu’on le prît au fond pour une artificieuse répétition des opinions déjà émises par l’orateur ; ce qu’il fallait, c’est qu’il fût approprié à la circonstance et qu’il décidât de l’issue du procès.

Les critiques les plus sévères s’étonnèrent du profond et rare savoir qui se trouvait déployé dans cette défense, tandis que les esprits superficiels se sentirent électrisés et vaincus par la puissance de ce pathos extraordinaire : les gens sérieux applaudirent avec impartialité, et les cœurs tendres ne purent s’empêcher de verser d’abondantes larmes.

La publication de ce discours, qui fut simultanée, porta aux nues la popularité du docteur. On commença généralement à espérer ou qu’il serait honorablement acquitté, ou que la punition qu’on lui infligerait serait asser douce pour équivaloir à un acquittement.

Ce qu’il y a de certain, c’est que le parti du haut clergé devina son triomphe, et dès lors son exaltation ne connut plus de bornes ; on improvisa des festins dans les tavernes et dans les cafés fréquentés par les tories ; les convives y faisaient de copieuses libations, se réjouissant par avance de la chute présumée des whigs, et se félicitant l’un l’autre avec enthousiasme de la brillants attitude de leur apôtres. On eut même à réprimer certains troubles nocturnes dans les rues ; mais le lendemain matin, les perturbateurs ayant manifesté une contrition sincère lorsqu’ils furent à jeun, les autorités se montrèrent indulgentes pour eux. Quelques attroupements se renouvelèrent encore dans les alentours du Temple et de Westminster-Hall : mais, comme les émeutiers se tinrent sur la réserve, on les laissa se disperser d’eux-mêmes.

Tout le temps que dura cette célèbre affaire, on remarqua