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ABIGAÏL.

Abigaïl rougit encore, mais elle n’essaya pas de nier. Précisément dans ce moment même la voiture s’arrêta, la portière s’ouvrit, et les deux dames, descendant de leur équipage, entrèrent dans le palais.


III


Un tête-à-tête à Marlborough-house.


Jamais, avant ce jour, la réception à Saint-James n’avait été si nombreuse et si brillante. On remarqua néanmoins que la reine paraissait fatiguée et découragée, et la souffrance qu’elle éprouvait était d’autant plus apparente, qu’elle avait sur les yeux une légère inflammation. Inquiet de ces symptômes, le duc de Marlborough en parla au prince de Danemark, qui répondit à la hâte et étourdiment, selon son habitude :

« La reine est seule cause de ses maux ; si elle ne veillait pas si tard, ses yeux ne seraient pas si rouges et son humeur si sombre.

— En vérité ! s’écria le duc ; je croyais que Sa Majesté se retirait toujours de bonne heure.

— Habituellement, oui, répliqua le prince confus, tout en s’aperçevant alors de l’indiscrétion qu’il avait commise ; mais quelquefois elle cause une heure ou deux avant de se coucher… elle cause avec moi, Votre Grâce… avec moi seul, me demandant conseil sur des affaires d’État. À vrai dire elle ferait mieux de se mettre au lit : veiller ne nous va ni à l’un ni à l’autre, ha ! ha ! » Et en disant ces mots il offrit sa tabatière au duc, dans l’espoir de détourner la conversation.

Marlborough lui fit un profond salut en guise de remerciment pour cette prévenance, mais il se dit à part lui :

« Ab ! elle veille la nuit… une autre que la duchesse possède donc sa confiance ?… c’est ce qu’il faudra voir ! »

Plus tard, le même jour, lorsque la réception fut terminée, le duc se trouva seul à Marlborough-house, avec son illustre compagne.