Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
ABIGAÏL.

devoir de vous signaler les dangers que vous courez. Mais je ne puis avoir de dispute avec mistress Masham.

— Mistress Masham, milord, respecte mes sentiments, reprit la reine mécontente ; et c’est plus que ne savent faire certaines gens qui prétendent m’être dévoués. Mais il est temps enfin que cette discussion cesse. Ne voyez-vous pas que la perpétuelle indiscrétion et le despotisme de la duchesse me l’ont rendue odieuse et m’ont forcée à chercher une confidente plus douce et plus complaisante ? Ne comprenez-vous pas que je ne veux plus tolérer ni son contrôle ni le vôtre, et que je veux désormais gouverner mes peuples à mon gré, prodiguer mon affection à qui bon me semble ? Aucun parlement ne peut me priver d’une amie, et, si Votre Grâce à conçu le dessein d’essayer d’obtenir per la force (ainsi que vous m’en ävez déjà menacée) le renvoi de mistress Masham, vos efforts retomberont sur votre téte.

— Je ne désire point priver Votre Majesté d’une amie, ni vous dicter des lois, répondit le due ; mais, si je vous prouve d’une façon irrécusable que votre confidente a abusé de votre confiance, et qu’elle a constamment entretenu une orrespondance avec les adversaires avoués de vos ministres (sans parler des ennemis étrangers), si alors le parlement et la nation exigent son renvoi, je présume que votre Majesté n’hésitera plus ?

— Il sera temps, milord, fit la reine, de répondre à votre question lorsque cette décision aura été prise. À présent, je le crois, notre conférence est terminée.

— Pas tout à fait, Majesté, répliqua le duc. Ja dois forcément abuser de votre patience pendant quelques minutes encore. Vous savez qu’il faut se prononcer sur deux nominations militaires : la lieutenance de la Tour et le commandement d’un régiment.

— Je le sais, riposta la reine en adressant un regard dérobé à mistress Masham.

— Lord Rivers m’a prié de solliciter Votre Majesté pour qu’elle lui accordât la lieutenance, poursuivit le duc ; mais, lorsque je lui ai fait observer que son crédit était bien plus grand que le mien, il m’a demandé la permission de vous présenter lui-même sa requête.

— Votre Grâce a-t-elle quelque objection à faire à son sujet ? demanda la reine.