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ABIGAÏL.

L’effet de cette philippique fut tout aussi formidable qu’on s’y était attendu. Entraîné par la véhémence et la conviction du prédicateur, et ne saisissant qu’imparfaitement la portée du discours, le lord-maire le loua hautement, et exprima le désir de le voir imprimé. C’était précisément ce que Sacheverell souhaitait : il prit immédiatement au mot le magistrat-citoyen, et non-seulement il fit imprimer son sermon, mais encore il le lui dédia.

Ea fort peu de jours on yendit au delà de quarante mille exemplaires de ce pamphlet, dont le texte devint d’un bout à l’autre de la ville le sujet des conversations et des discussions universelles.

Une mèche enflammée, jetée dans un champ de chanvre desséché, cause des dégâts moins rapides que ne le fit ce discours incendiaire. Ce fut un cri général : on disait partout que l’Église était en danger, et que les ministres se déclaraient ses plus mortels ennemis. De nombreuses réunions, des rassemblements considérables eurent lieu, dans lesquels on prépara des dénonciations contre eux, et Sacheverell fut proclamé le champion du haut clergé.

Ce tumulte populaire eùt été étouffé dès sa naissance, s’il n’avait point été soigneusement entretenu et propagé par les artifices de Harley et de ses adhérents. Godolphin aurait voula garder sur cette affaire un dédaigneux silence ; mais ceci ne faisait pas le compte de Harley, et, tout en soutenant ouvertement l’opposition, il fit en dessous main tous ses efforts pour amener l’arrestation du docteur, sachant bien que le plus sûr moyen de confirmer la rumeur du danger où se trouvait l’Église était d’essayer de punir un prètre.

On fit enfin tant de bruit au sujet de ce discours factieux, qu’il fut impossible de ne pas s’en préoccuper. M. John Dolben, fils du dernier archevêque d’York, agissant d’après les instructions du ministère, se plaignit à la chambre de ce sermon séditieux, qui, à son dire, avait pour but d’exciter une rébellion. Quelques orateurs ayant parlé après lui dans le même sens, et personne n’ayant entrepris de défendre le docteur, on déclara que le sermon était un pamphlet scandaleux et perfide, attaquant Sa Majesté la reine, son gouvernement, la bienheureuse révolution et la succession protestante ; c’était, en un mot, un discours tendant à aliéner à Sa Majesté les cœurs