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ABIGAÏL.

la duchesse. Dès qu’elle se trouva seule, Anne ne put retenir ses larmes.

« Oh ! mon époux si cher et si regretté, murmura-t-elle, voici aujourd’hui une circonstance où l’appui de vos consolations et de vos avis m’eùt été fort utile ! »

Anne était veuve depuis un an. Son excellent époux, le prince Georges de Danemark, était mort le 23 octobre 1708. La reine avait soigné avec zèle son noble mari pendant cette dernière maladie, et ne fit point étalage de sa douleur lorsque les souffrances du prince furent arrivées à leur terme. Un observateur indifférent ou malveillant aurait pu même supposer que cette erte lui laissait peu de regrets ; mais bien au contraire, elle Ae pleura en secret avec la plus grande sincérité.

La seule personne peut-être qui connût l’étendue réelle de cette aflliction fut mistress Masham, c’est elle aussi qui fut témoin de l’émotion qu’éprouvait la reine, lorsque la duchesse de Marlborough fut sortie.

« Eh ! quoi, vous versez des larmes, ma gracieuse souveraine ! s’écria la confidente, qui venait d’entrer sans faire de bruit. J’aime à croire que la duchesse n’a pas osé adresser quelque nouvelle insulte à sa reine ?

— Non ! Mais cette femme orgueilleuse m’a fait au nom du duc une demande que j’ai refusée, positivement refusée, répliqua Anne. Du reste, ce n’est pas elle qui cause la douleur dont je suis accablée en ce moment. Je souffre au souvenir de la perte d’un époux justement regretté.

— Oh ! dans ce cas, je ne puis que joindre mes larmes à celles de Votre Majesté, répliqua mistress Masham. Je ne prétends point éprouver des regrets aussi vifs que les vôtres, madame, et pourtant la douleur que vous manifestez peut seule surpasser la mienne.

— Merci, noble amie, merci ! Mon cher époux vous estimait infiniment, continua la reine, et la dernière recommandation qu’il m’a faite a été celle-ci : « Gardez toujours les Masham près de vous ; ils vous serviront avec fidélité. »

— Nous ferons nos efforts, mon mari et moi, pour justifier la bonne opinion du prince, répondit mistress Masham ; mais, ô ma bien-aimée reine, n’arrétez pas votre pensée sur d’aussi tristes souvenirs !

— Allons, allons ! en vous ouvrant mon cœur, je me sens