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ABIGAÏL.

de la reine, et désirant, tant qu’il avait encore le pouvoir en main, se faire une position inattaquable pour se mettre à l’abri de l’opposition qu’il prévoyait, il s’adressa au chancelier et lui demanda une patente de capitaine-général des armées inamovible. À sa grande surprise et mortification, il lui fut répondu qu’une pareille nomination était irrégulière et contraire à la constitution du pays, et que, par conséquent, elle ne pouvait lui être accordée. Le duc renouvela sa tentative par toutes sortes de moyens, mais il ne put jamais recevoir d’autre réponse.

Loin de se décourager, Marlborough résolut de s’adresser directement à la reine, et dans ce but, immédiatement après la victoire de Malplaquet, jugeant le moment favorable, il eut l’imprudence de charger la duchesse de cette misssion. Anne avait été prévenue de cette requête par un avis de sir Harley. Elle se trouva donc charmée d’avoir une occasion d’humilier la femme qui était autrefois sa favorite, et qui aujourd’hui s’était rendue l’objet de son insurmontable aversion ; la reine refusa pettement.

« Je n’ai rien à dire contre la décision de Votre Majesté, répondit la duchesse ; mais, puisque les services du duc sont ainsi récompensés, je crois devoir annoncer ici son intention formelle de se retirer à la fin de la guerre.

— Si Votre Grâce avait dit à la fin de la campagne actuelle, elle se serait fait mieux comprendre, répliqua amèrement la reine : car, si le duc prétend ne renoncer à son commandement qu’après signature du traité de paix, je ne sais quand il pourra mettre à exécution son projet de retraite.

— J’espère que Votre Majesté ne se fait pas l’écho des folles, déloyales et mensongères diatribes de M. Harley, qui ose dire que le duc prolonge volontairement la guerre ? s’écria la duchesse, en retenant à grand’peine les élans de sa colère.

— Je ne me fais l’écho que des soupirs de mon peuple. On demande le calme dans tout mon royaume, observa Anne ; et l’on se plaint des demandes incessantes de nouveaux subsides. À vrai dire, je suis de l’avis de mon peuple.

— Eh bien donc ! s’écria la duchesse, l’Angleterre aura la paix ; mais je préviens Votre Majesté que cette paix sera pire que la guerre ! »

Malgré sa fermeté, la reine fut troublée par cette menace de