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ABIGAÏL.

autour de Marlborough-House longtemps avant l’heure fixée pour le départ.

La duchesse avait compté sur cet effet, et, postée à une fenétre de sa demeure princière, elle se réjouissait de voir l’accroissement progressif de la foule, tout en se félicitant du succès de son stratagème.

Un peu avant midi, le duc fit prier la duchesse de passer dans son cabinet. Il voulait lui dire sdieu et semblait profondément affecté de cette séparation. Il prit la main de sa femme et garda le silence ; la duchesse était moins émue, mais elle eut besoin de toute sa force d’âme pour retenir ses sanglots.

« Je vous quitte le cœur inquiet, lui dit le duc ; car, si tout paraît brillant et prospère en ce moment à vos yeux, j’aperçois pourtant à l’horizon un orage qui vous menace.

— La pénsée de vous perdre m’accable et me navre, répliqua tendrement la duchesse, mais je n’ai aucun sinistre pressentiment.

— Oh ! ma femme bien-aimée ! s’écria le duc en la pressant sur son cœur, Dieu seul sait ce que ces séparations me font souffrir !

— J’éprouve autant de douleur que Votre Grâce, reprit la duchesse ; mais vous êtes uni à la gloire aussi bien qu’à moi, et, quand cette autre moitié de vous-même vous appelle, je me soumets à mon sort.

— Que vous êtes une femme héroïque ! s’écria le duc en regardant la favorite avec une extase admirative. Oh ! Sarah, sans égale pour l’esprit comme pour la beauté, le ciel m’a comblé en me gratifiant d’un pareil trésor. Allons ! je dois me séparer de vous ; car, si je vous contemple plus longtemps, je ne pourrai plus m’arracher d’ici. Je ne vous dis qu’un mot en partant : soyez prudente avec la reine, ne l’irritez pas davantage ; elle ne cédera pas au sujet d’Abigaïl.

— Avant le retour de Votre Grâce, cette méchante fille sera congédiée, fit la duchesse.

— J’en doute, dit le duc en secouant la tête.

— Vous ne connaissez pas l’étendue de mon pouvoir, répliqua la duchesse avec vanité. Dois-je vous dire un secret ? un agent sûr que j’ai au palais, l’huissier de la bibliothèque, vient de m’apprendre à l’instant que la reine se dispose à faire épouser ce soir même sa favorite au jeune Masham.