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ABIGAÏL.

à surveiller les mouvements de son adversaire ; il vit qu’au lieu de retourner auprès du duc et du cercle brillant qui l’entourait, la duchesse se retirait dans la chambre verte, comme pour se reposer. Il la suivit en cet endroit, mais d’assez loin pour ne pas éveiller son attention, et il se plaça près de la porte pour voir ce qui allait arriver.

Son incertitude ne dura pas longtemps. Un huissier passa près de lui et revint bientôt accompagné du marquis de Guiscard. Harley s’éloigna jusqu’à ce que le marquis fût entré ; puis, se rapprochant de la porte qui était restée entre-bâillée, il s’appuya contre le chambranle de façon à écouter tout ce qui se dirait dans l’intérieur. Aux yeux des autres spectateurs, il paraissait uniquement occupé de la scène animée qui se passait devant lui.

Les premières paroles qu’il entendit furent prononcées vivement par la duchesse.

« Je sais que vous souhaitez prendre la route la plus courte pour arriver à la fortune, marquis, lui disait-elle, et je veux vous indiquer le chemin. En dépit des oppositions qui surgissent de différents côtés, nonobstant les refus d’Abigaïl elle-même, enfin, malgré le consentement accordé à Masham par la reine, vous n’en épouserez pas moins cette petite folle.

— Votre Grâce sait que je m’exposerais volontiers à tous les périls pour atteindre ce but, répliqua le marquis ; j’ai renoncé forcément à ce bonheur, car je n’avais plus d’espoir ; mais ce que Votre Grâce me dit à cette heure ne m’explique pas comment la chance a pu tourner en ma faveur.

— Écoutez-moi, marquis, reprit la duchesse. Lorsque Abigaïl est entrée au service de la reine, elle m’a concédé, par un document que je possède, le droit exclusif de disposer de sa main à mon gré. Elle est donc ma pupille, et je puis la donner en mariage à qui bon me semblera : je vous offre de devenir son mari.

— Et je n’ai pas besoin de dire avec quel empressement j’accepte, répondit Guiscard. Quand Votre Grâce compte-t-elle faire acte d’autorité ?

— Le jour qui aura été fixé pour son mariage avec Masham, répondit-elle.

— Le mariage pourrait avoir lieu secrètement, à l’insu de Votre Grâce, dit le marquis.