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ABIGAÏL.

mestiques, et commença une nouvelle carrière d’extravagances et de prodigalités, qu’il ne pouvait soutenir et alimenter qu’à l’aide du jeu et de toutes sortes d’expédients. Il était, malgré cela, fort assidu à la cour, au lever des ministres, et toujours en quête d’emplois et de dignités.

Désireux, comme le sont tous les aventuriers, d’établir un sort précaire sur des bases solides grâce à une alliance avantageuse, Guiscard avait adressé ses vœux, jusqu’alors sans succès, à plusieurs héritières et riches veuves. On le soupçonnait d’avoir en outre d’autres projets ténébreux en tête, et une fois en paix avec la France, d’être parvenu à nouer une correspondance clandestine avec la cour de Saint-Germain. Tout en étant un heureux joueur, le marquis avait d’autres goûts ruineux qui lui enlevaient les gains énormes de la table de jeu. Audacieux et arrogant à l’excès, il savait être souple et faire des courbettes, lorsque cela pouvait être utile à ses intérêts. Quelques créatures soudoyées par lui, et employées dans l’intérieur du palais, lui avaient rendu un compte exact de la position d’Abigaïl Hill près de la reine ; il comprit par leurs récits quel serait plus tard son ascendant sur sa souveraine, et réunit tous ses efforts pour tâcher de lui plaire. Mais il se vit constamment repoussé. Soit que la jeune fille devinât ses intentions secrètes, soit qu’elle eût été mise en garde contre lui par Harley, elle ne daignait jamais l’écouter, et, dans les rares occasions où elle ne pouvait éviter de le rencontrer, à peine était-elle polie. À vrai dire, Guiscard était un homme dont on ne se débarrassait pas facilement. De pareils dédains blessaient sans doute sa vanité, mais il se décida à persévérer et à attendre un moment opportun pour mettre ses projets à exécution.

Peu de temps après que le marquis se fut posté de la manière qui a été décrite plus haut, un nouvel incident eut lieu auprès de Greg et de sa société. Il fut causé par l’apparition de plusieurs laquais en livrées claires, qui sortirent, au coin de Pall-Mall, de la maison dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui écartèrent la foule avec leurs hallebardes, pour frayer un passage à une chaise superbement dorée et blasonnée aux armes de Savoie. Au moment où les porteurs passaient devant le marquis de Guiscard, la glace s’abaissa, il s’échappa de l’intérieur une bouffée de parfums, et un fort bel homme, à