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ABIGAÏL.

ses navires, en échappant lui-même aux plus grands dangers. Les sourdes menées d’Antoine de Guiscard ayant excité la défiance du duc, le gentilhomme vint se fixer à la Haye vers la fin de 1704, et eut plusieurs conférences avec le grand pensionnaire Heinsius et avec le duc de Marlborough, qui tous deux furent si satisfaits de lui, qu’ils lui accordèrent, d’un commun accord, une pension mensuelle de cent ducats. Sur ces entrefaites, la nouvelle arriva de l’expéditon projetée du comte de Peterborough en Catalogne, et le marquis se hâta d’aller rejoindre ce seigneur à Barcelone. Ses projets eurent dans cette ville le même succès qu’ailleurs, et enfin, de guerre lasse, étant parvenu à obtenir du roi d’Espagne des lettres de recommandation pour la reine d’Angleterre, il s’élait embarqué pour ce royaume. Pendant le voyage, le temps fut presque toujours orageux ; le vaisseau à bord duquel il se trouvait fut attaqué par un corsaire français, circonstance qui fournit au marquis une bonne occasion de déployer ses talents et de montrer sa bravoure, car ce fut par son courage seul que le bâtiment put se dérober à une capture certaine. À son arrivée à Londres, il reçut de la reine un accueil très-gracieux qui lui procura sur-le-champ ses entrées chez les ducs de Devonshire et d’Osmond. Il parvint promptement à s’insinuer dans les bonnes grâces de plusieurs ministres, notamment de SaintJohn. En conséquence, lorsqu’il fut question d’une descente en France, et qu’on s’occupa de lever des troupes qui devaient être commandées par le comte de Rivers, Guiscard reçut une commission de lieutenant-colonel, et mille guinées lui furent allouées pour les frais de son équipement. Mais la fortune, qui jusqu’alors lui avait souri, commença à le délaisser. Tandis que la flotte confédérée, mouillée à Torbay, attendait le vent propice, des démélés s’élevèrent entre Guiscard et les généraux anglais, qui refusèrent de lui accorder le commandement qu’il exigeait ; et son ignorance des choses militaires aussi bien que de l’état de la France ayant apparu clairement à l’esprit de lord Rivers, il fut rappelé et demeura à Londres quelque temps fort à l’écart. Quoique ses appointements de lieutenant général eussent été supprimés, il avait toujours son régiment, ainsi que sa pension des états de Hollande ; il acheta donc une belle maison dans Pall-Mall, eut de brillants équipages, de nombreux do-