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ABIGAÏL.

l’honneur d’aller lui dire adieu dans le courant de la soirée ; ayez la bonté de l’en prévenir.

— Je n’y manquerai pas, dit Proddy, et je suis sûr qu’il sera fort aise de vous voir.

— Ah ! maugrebleut monsieur le cocher, s’écria Bimbelot, j’étais venu pour vous demander quelque chose, mais ce que vous m’avez dit du sergent me l’a fait oublier. Bon ! j’y suis : est-ce que ce Mézausène, avec qui je me suis battu en duel dans l’obscurité, est encore au palais ?

— Pourquoi cela ? dit Proddy d’un ton bourru.

— Oh ! mon Dieu, pour rien ! fit Bimbelot ; je désirerais le voir.

— C’est impossible, je vous le-dis tout net, Bamby, répondit le cocher ; il est de service auprès du prince, et personne ne peut l’aller trouver.

— Ah ! Proddy, vous êtes un vieux rusé, un fin renard, mais vous ne me tromperez pas. Vous savez bien que Mézausène était tout simplement M. Masham déguisé.

— Je ne sais rien de pareil, fit Proddy d’une voix aigre.

— Bravo ! très-bien ! s’écria Bimbelot en riant ; je ne veux pas vous faire parler malgré vous, ne craignez rien. Je ne trahirai point ce secret, je connais les raisons de son travestissement : c’était pour se rapprocher d’une jolie dame… de Mile Abigaïl Hill. Hal ha ! adieu, mon cher Proddy, nous nous reverrons ce soir chez le sergent. »

Et, après force révérences, les deux Français se retirèrent.

Proddy fuma encore une pipe, ingurgita un autre pot d’ale, puis enfin, songeant qu’il était temps de se mettre en route pour Marlborough-House, il s’y rendit, et se dirigea tout droit vers la chambre du sergent, qu’il trouva prenant le thé en compagnie de mistress Plumpton et de mistress Tipping. Les deux femmes avaient les yeux noyés de larmes.

« Voici un spectacle touchant, observa le cocher en s’arrêtant près de la porte. Je me sens moi-même tout attendri.

— C’est triste à voir, sans aucun doute, répondit le sergent ; mais j’ai déjà dù supporter tant de douloureuses séparations que je commence à m’y habituer. Asseyez-vous, camarade : ne voulez-vous pas faire comme nous ?

— Je me souviens que M. Proddy ne prend jamais de thé, dit mistress Plumpton. Je vais aller lui chercher de l’ale. »