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ABIGAÏL.

pas encore remis de la secousse qu’il a éprouvée en se voyant destitué de sa charge ; il a cependant essayé de se consoler avec la signora Margaritta. Dans la voiture qui suit la sienne, vous voyez la femme la plus orgueilleuse de la cour, sans en excepter Sa Grâce de Marlborough, dont elle est fille : c’est la duchesse de Montagne : n’est-elle pas merveilleusement belle ? La dame qui vient de passer si rapidement, toute chargée de diamants, est mistress Long, sœur de sir William Raby. Ce splendide équipage est celui de sir Richard Temple ; vous pouvez le voir sans difficulté : convenez que c’est un bel homme. On parle de lui et de sa liaison avec mistress Centlivre… mais je ne veux rien dire de plus. Ah ! voici venir deux beaux esprits : celui de ce côté est le fameux M. Congrève ; l’autre est le non moins fameux capitaine Steele. Je serais curieux de savoir auquel des deux appartient la voiture : ni à l’un ni à l’autre, probablement. La belle personne qui les suit est mistress Hammond, dont le mari est un lion tout aussi rugissant que M. Saint-John ; on assure qu’elle se console de son abandon avec lord Dursley, vice-amiral, que vous pouvez voir appuyé sur la portière de cette voiture marchant de front avec celle de la dame, à laquelle il envoie des baisers avec la main. »

Tandis qu’il débitait toutes ces explications, Greg sentit qu’on lui pressait le bras ; c’était Angelica qui lui demanda à demi-voix s’il connaissait un gentilhomme étranger qui venait précisément de se poster à côté d’eux.

« Certainement, » répondit Greg après avoir jeté à la dérobée un regard dans la direction indiquée. Dans ce même moment, l’individu désigné ayant regardé du côté de Greg, celui-ci leva son chapeau pour saluer. « C’est le marquis de Guiscard, ajouta Greg à voix basse.

— Seigneur ! quels yeux hardis ! murmura Angelica ; je vous assure qu’il me fait perdre contenance. »

Le marquis était grand et bien fait, quoique un peu maigre ; il avait des yeux noirs et perçants, d’épais sourcils de même couleur, et le teint d’une pâleur olivâtre. Son menton rasé était bleu foncé ; ses traits prononcés eussent été beaux s’ils n’avaient été animés d’une expression sinistre dont l’effet désagréable était augmenté par son air insolent et libertin ; son costume était celui que portaient à la cour les officiers de rang élevé : il consistait en un habit écarlate, richement brodé d’or