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ABIGAÏL.

et cependant je le crains ; on a jeté si avant les semences de la trahison dans cette cour, qu’à moins que ces intrigues ne soient découvertes, elles amèneront un terrible résultat. À vrai dire, malgré ces pénibles prévisions, je ne me laisse pas décourager, et je pousserai l’accomplissement de mes projets avec la même énergie que par le passé. Aussi longlemps que l’armée anglaise sera commandée par moi, rien ne ternira sa gloire, je le jure.

— Oh ! nous le savons bien tous, nous autres vos soldats ! dit Scales avec emphase.

— Les Français, jusqu’à présent, ne m’ont jamais vaincu, et ils ne me vaincront jamais ! s’écria le duc.

— C’est bien certain ! s’écria Scales électrisé, en agitant son chapeau.

— Calmez-vous, sergent ! reprit le duc en souriant ; du reste, c’est moi qui m’oublie, et il n’est pas étonnant que vous suiviez mon mauvais exemple. Je vous ai parlé à cœur ouvert, d’abord parce que je sais que je ne risque rien avec vous, et ensuite parce que j’avais besoin de laisser déborder les pénsées qui m’oppressent. Votre fidélité et les services que vous m’avez rendus vous donnent bien le droit d’être traité en ami.

— Eh bien ! puisque vous daignez m’honorer de ce titre, répliqua le sergent, j’oserai donner un avis à Votre Grâce : ne vous laissez plus aller à vos craintes, à vos méfiances ; vous terminerez la guerre glorieusement comme vous l’avez commencée, et, aussi vrai que nous voici vivants tous deux, vous écraserez vos ennemis sous vos pieds. Je ne croirai jamais que les Anglais voient arracher de sang-froid les lauriers qui ceignent le front de leur plus illustre général… le duc de Marlborough… Si je pensais que ce füt possible, je renierais mon pays !

— Assez, Scales, assez ! dit le duc en tendant au sergent une main que celui-ci pressa avec force sur son cœur ; je vous verrai ce soir lorsque vous viendrez chercher les dépêches ; d’ici là, faites vos préparatifs de départ. »

Le sergent salua, essuya une larme du revers de sa manché, et sortit du cabinet de son général, la tête haute, en marchant au pas militaire.