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ABIGAÏL.

« Venez ici, » fit le prince d’une voix rude. Les deux jeunes gens se tinrent debout devant la reine.

« Ce jeune homme ressemble d’une manière surprenante à M. Masham, dit le duc ; si ce n’était qu’il vient de nous quitter à l’instant, j’affirmerais que c’est lui.

— La ressemblance est en effet prodigieuse, observa le prince.

— Tellement prodigieuse, que je suis convaincue que c’est lui-même ! dit la duchesse.

M. Masham vient de sortir du palais à l’instant, dit Snell sans hésiter.

— Je l’ai vu traverser la grande cour, ajouta l’huissier.

— Allons ! je n’ai plus rien à dire, continua la duchesse ; il ne reste plus à Votre Majesté qu’à délivrer le prisonnier. Il y a certainement une fourberie au fond de tout cela, mais il n’est pas possible de la dévoiler en ce moment. »

Sur un geste de la reine, Snell et Masham se retirèrent. Les autres personnes présentes prirent congé quelques instants après : la reine et le prince restèrent seuls ensemble.

Anne regardait fixement son mari, frappait son éventail dans sa main gauche et branlait la tête d’un air significatif, tandis que le prince Georges, ne sachant pas trop s’expliquer ce que cette attitude présageait, cherchait à cacher son embarras en se livrant à un usage immodéré du contenu de sa tabatière.

« Vous croyez que je suis votre dupe, dit la reine avec gaieté. Eh bien, vous vous trompez, j’ai tout deviné, et bien plus clairement que la duchesse ;

— Mais… Votre Majesté…

— Oh ! si vous persistez, je me fâcherai tout à fait, dit Anne en interrompant son mari. La lettre que voici est arrivée de France, je n’en doute pas, mais c’est à vous qu’elle a été adressée sous pli. En la recachetant, après l’avoir lue, vous vous êtes servi de votre propre cachet. Voyez ! Oh ! mon cher prince, vous vous entendez fort mal à conduire une intrigue jusqu’au bout. »

Le prince royal huma une énorme prise de tabac.

« Ce n’est pas tout, poursuivit la reine. J’ai trouvé sous le pli de la lettre un billet adressé par Abigaïl à Masham, glissé là par hasard sans doute, qui m’a appris tout ce que je voulais