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ABIGAÏL.

l’enveloppe, et un sourire à peine perceptible erra sur ses lévres ; mais ce sourire se changea bientôt en une expression toute différente lorsqu’elle eut ouvert et parcouru la lettre.

« Je crains, madame, dit la duchesse, que ce ne soient de mauvaises nouvelles.

— Il est vrai que ce que j’apprends n’est pas réjouissant, répondit la reine. Mon écervelé de frère a fini par persuader au roi de France qu’il fallait l’aider à reconquérir son royaume.

Jacques va entreprendre une descente à main armée dans ce pays, et il m’exhorte, afin d’éviter l’effusion du sang, à mettre de côté ma couronne royale et à la placer sur sa tête.

— À lui la couronne d’Angleterre s’écria la duchesse. Mais il faut que l’orgueil ait tourné la tête de cet insensé ; la lettre est-elle du prétendant lui-même ?

— Oui, mademe, elle est de mon frère, répondit la reine.

— Le prétendant n’est point le frère de Votre Majesté, quoiqu’il passe pour tel, répliqua la duchesse. Nous qui connaissons l’histoire de la bassinoire, nous savons à quoi nous en tenir. Si la lettre est de lui, par quel hasard a-t-elle été confiée à M. Masham ? Appartiendrait-il au parti jacobite ?

— Assurément non, reprit Masham ; je suis prêt à verser tout mon sang pour le service de Sa Majesté ; et vienne une rébellion, je serais le premier à me rallier autour du trône. Mais j’implore le pardon de la reine d’oser demeurer ici sans permission ; j’ai accompli mon mandat, je me retire. » Masham fit un profond salut et quitta l’appartement.

« La lettre que Votre Majesté vient de lire ne contient pas des menaces oiseuses, dit Marlborough ; je viens d’apprendre d’une source certaine qu’on arme à Dunkerque une expédition qui doit étre commandée par le chevalier de Forbin, marin expérimenté et cité pour sa grande bravoure. Forbin sera accompagné par son ami le chevalier de Saint-Georges en personne.

— Mais ceci ressemble en effet à des préparatifs de guerre, dit la reine.

— Du reste, des mesures promptes et efficaces seront prises pour empêcher la réussite de cette descente à main armée sur notre territoire, reprit le duc ; je donnerai des instructions au général Cadogan, afin qu’il obtienne l’assistance du gouvernement hollandais, de sorte que, quel que soit le nombre d’hom-