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ABIGAÏL.

des soupçons. » Tout en disant ces mots, l’époux de la reine se dirigea vers la galerie, tandis que Masham retourna à son poste.

Snell n’eut guère le temps de réfléchir ; car le prince avait à peine disparu, que la porte intérieure s’ouvrit et livra passage à Abigaïl.

« Oh ! vous voici ! s’écria-t-elle vivement ; tout est découvert, fuyez aussi promptement que vous le pourrez !

— Je le voudrais de tout mon cœur, répliqua Snell en détournant la tête, mais je n’ose pas.

— Vous n’osez pas ! dit Abigaïl. Mais il le faut ; la reine et la duchesse vont être ici dans un instant, et alors nous sommes perdus tous les deux !

— Le prince sort d’ici, et m’a ordonné de ne pas quitter la place, répondit Snell.

— Il vaut mieux risquer de lui désobéir, que d’encourir le déplaisir de la reine, irritée par les insinuations perfides de la duchesse, dit Abigaïl : croyez-moi, si l’on vous trouve ici, nous devrons renoncer à notre mariage.

— Notre mariage ! pensa Snell. Ah ! tout s’explique ; mon camarade a fait la cour à la favorite de la reine ! C’est là, indubitablement, un crime de haute trahison, et, je le vois bien maintenant, on me tranchera la tête, et la méprise ne sera reconnue que lorsqu’il sera trop tard. Oh Seigneur ! mon Dieu !

— Que faites-vous donc là, à vous parler à vous-même ? s’écria Abigaïl ; mais allez-vous-en donc, on dirait que vous avez perdu l’esprit.

— On le perdrait à moins ! s’écria, en se frappant le front, Snell qui manifesta sa colère en faisant résonner son pied sur le parquet. Ma cervelle est en feu. Que ne donnerais-je pas pour n’avoir jamais mis le pied dans le palais !

— Vos regrets ne sont pas flatteurs pour moi, répondit Abigaïl, et cependant je ne vous adresserai aucun reproche. Ah ! l’on vient, fuyez !

— Je n’ose pas, vous dis-je, reprit Snell. Le prince m’a assuré qu’il y allait de ma tête, si je quittais cette place.

— Votre conduite est incompréhensible, dit Abigaïl d’un ton mêlé de colère et d’inquiétude ; il paraît que vous avez résolu notre perte à tous deux, et vous montrez tant d’opiniâtreté et d’égoïsme que je commence à regretter d’avoir placé en vous mes affections.