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ABIGAÏL.

instants, lui ft une profonde révérence en lui disant, du ton de la plus amère raillerie :

« Recevez mes félicitations sur votre avancement, monsieur Masham ; j’ignorais que vous fssiez partie de la domesticité de la reine.

— Votre Grâce se trompe en me nommant ainsi, balbutia-t-il, je m’appelle Mézausène.

— Mézausène ! ha ! ha ! fit en riant la duchesse. Depuis quand portez-vous ce nom, monsieur ? Probablement depuis que vous êtes banni de la cour ? Mais Sa Majesté doit connaître les personnes de son service, et si elle ignore le nom de ses gens, miss Abigaïl sera mieux instruite, je suppose. Adieu, monsieur Mézausène, puisque c’est là le nom que vous avez choisi. Ah ! ah ! »

Et, accompagnant ces derniers mots d’un salut ironique, la duchesse entra dans les appartements de la reine.

Confondu de ce qui venait de lui arriver, Masham resta un instant indécis. Si la duchesse exécutait la menace qu’elle lui avait faite, de parler de son déguisement à la reine, et il était certain qu’elle ne manquerait pas de le faire, il voyait bien que tout espoir de mariage avec Abigaïl serait perdu, que leurs projets de bonheur et d’avenir seraient renversés.

Il voulut donc à tout prix écarter le danger qui les menaçait. Après avoir songé dans son esprit à une foule de moyens, Masham se souvint d’un soldat de la garde nommé Snell, avec lequel, depuis le temps qu’il était en quelque sorte forcé de fréquenter les gens de service, il avait formé une espèce d’intimité. Snell était jeune, beau garçon, presque de sa taille, et assez semblable à lui en apparence ; aussi pensa-t-il qu’il pourrait à la rigueur passer pour lui. En conséquence, Masham se hâta d’aller le chercher dans la salle des gardes. À peine avait-il quitté la galerie, qu’il le rencontra au milieu du grand escalier, se rendant à l’antichambre.

Sans s’arrêter à donner des explications à Snell, Masham saisit sa nouvelle connaissance par le bras, et lui dit brièvement qu’il avait besoin de lui parler. Ce faisant, il entraîna prestement Snell le long de deux corridors, lui fit monter quelques marches, l’introduisit dans une petite chambre et enferma la porte à clef.