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ABIGAÏL.

cœur au sujet de la défaite qu’elle avait essuyée, lui avait fait concevoir une aversion insurmontable pour celle à qui elle devait cette humilistion ; et quoiqu’elle cachât avec soin, dans ses rapports avec elle, ses sentiments secrets, il aurait fallu beaucoup moins de pénétration que n’en avait la duchesse, pour découvrir la nature véritable de ces sentiments particuliers.

Le plus grand motif d’inquiétude sérieuse de la duchesse, était indubitablement la faveur croissante d’Abigaïl et son impuissance à faire renvoyer cette nouvelle favorite. La reine demeura inflexible sur ce point ; aucune remontrance, aucune instance ne put ébranler son attachement pour la jeune fille, et, lorsqu’on alla jusqu’à lui dire que la chambre des communes songeait à lui adresser une pétition pour obtenir le renvoi d’Abigaïl, elle accueillit cette menace avec un sourire de dédain.

Anne se refusa également à renoncer à ses entrevues avec Harley, à qui elle accordait des audiences aussi fréquemment qu’avant sa disgrâce officielle. On s’aperçut bientôt, par sa manière d’agir, de quelle nature étaient les conseils qu’elle recevait de lui.

Tandis que ce diplomate, passé maître dans l’art d’intriguer, avait ainsi un accès perpétuel près de la reine ; tandis qu’une jeune rivale jouissait de l’intimité royale, la duchesse, malgré son triomphe, se sentait mal à l’aise et redoutait une chute définitive et prochaine. Il fallait donc, à quelque prix que ce fût, annihiler ces craintes sans plus tarder. Mais, au moment où la duchesse cherchait un moyen d’exécuter ses projets, le hasard lui offrit l’occasion qu’elle désirait si ardemment.

On doit se rappeler què, vers la fin de sa dernière entrevut avec la reine, grâce à la maladresse du prince Georges de Danemark, la duchesse avait à peu près deviné le secret du déguisement de Masham : Quoique depuis ce moment elle eût essayé plus d’une fois de le retrouver au milieu des domestiques de la cour, le pauvre disgracié était parvenu, à l’aide de précautions extrèmes, à se dérober à ses investigations.

Un jour, Masham la rencontra inopinément face à face dans la grande galerie. S’échapper était impossible, et Masham, malgré sa confusion, se trouva forcé de subir l’examen de la duchesse, qui, après l’avoir regardé fixement pendant quelques