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ABIGAÏL.

une plaisanterie d’aller plus loin : nous ne pouvons pas délibérer sans les deux chefs du cabinet. Les personnes dont l’opinion doit nous guider sont absentes. » À peine le duc se fut-il rassis, que le comte de Sunderland se leva à son tour ; il s’adressa à Harley d’un accent sévère : « Je désire apprendre de la bouche de M. Harley, dit-il, pourquoi nous sommes privés aujourd’hui du concours du général en chef et du lord trésorier. Lorsque je les ai quittés tous les deux, il y a une heure, je sais qu’ils avaient l’intention, sous certaines réserves, de se rendre ici. — Vous n’avez pas le droit de m’interroger, milord, répondit M. Harley, et je refuse de répondre. Mais pourquoi dites-vous que le duc et le trésorier ne devaient venir ici que sous certaines réserves ? — Monsieur, reprit le comte, voici en quoi consistaient ces réserves : ils devaient signifier à la reine qu’ils ne voulaient plus la servir avec vous, qui les aviez trompés ! Leur absence m’annonce que Sa Majesté a accepté leur démission, puisque Leurs Seigneuries se refusent à servir avec vous. Du reste, tous les membres du conseil, et moi comme eux, nous nous y refusons de même. — Vous êtes dans l’erreur, milord, s’écria M. de Saint-John ; car moi je reste. Je soutiendrai énergiquement et sans crainte contre toute opposition la détermination que Sa Majesté a prise. » Sir Thomas Mansell et sir Simon Harland furent du même avis ; le reste suivit l’exemple de Sunderland. À vrai dire, il s’est alors engagé entre les deux partis une si furieuse discussion, on s’est servi à l’égard de M. Harley d’expressions tellement outrageantes, et on a montré si peu de respect pour moi, que j’ai dû lever la séance.

— Ainsi donc, Votre Majesté s’est entièrement confiée aux mains de M. Harley ? dit joyeusement Abigaïl.

— Entièrement, répliqua la reine.

— Oh ! que je suis contente de l’apprendre ! s’écria Abigaïl en se hasardant à lancer un regard dérobé sur Masham, qui écoutait attentivement la conversation. Votre Majesté va donc maintenant jouir d’un peu de repos.

— Bien au contraire, car je crains fort qu’il ne faille renoncer à tout espoir de tranquillité, dit le prince en poussant un profond soupir.

— J’attends la visite de M. Harley, afin de décider quelle marche il faut suivre, ajouta la reine. Ah ! le voici ajouta-t-elle au moment où la porte s’ouvrait. Mais non !