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ABIGAÏL.


XX


Le destin se montre contraire au secrétaire d’État.


Masham et Abigaïl se retrouvèrent encore une fois ensemble le même jour et à la même place ; la reine était au conseil : aussi la belle Abigaïl profita-t-elle de cette occasion pour retourner dans l’antichambre où elle espérait retrouver son amant, et où elle le rencontra en effet.

Leur entrevue fut pleine de charmes ; mais par malheur elle fut promptement interrompue, au moment le plus intéressant, par l’arrivée intempestive de la reine et de son époux. Anne était trop troublée pour remarquer Masham, qui se rejeta en arrière lorsque la porte s’ouvrit, et feignit d’essuyer une des tables. Le prince se contenta de remuer la tête, en adressant au jeunè homme un regard qui semblait lui dire : « Imprudent, êtes-vous donc décidé à vous faire découvrir ! »

« Qu’est-il arrivé, ma gracieuse maîtresse ? s’écria Abigaïl, qui accourut au-devant de la reine ; je vous croyais au conseil.

— Le conseil est levé, répliqua la reine d’une voix brève ; mes ministres se sont assemblés, non pour délibérer, mais pour se disputer. Aussi ai-je brusquement levé la séance.

— Je devine la cause de la dispute, dit Abigaïl. Le trésorier et le duc ont exécuté leur menace, et ils ont attaqué M. Harley.

— Le duc et le trésorier ne sont pas venus, répliqua la reine ; mais voici ce qui s’est passé. J’ai pris place comme de coutume ; le conseil était assemblé, à l’exception pourtant des deux membres marquants que vous avez nommés. Mais j’étais préparée à leur absence, et je ne m’en montrai pas surprise. Après un court silence, pendant lequel je remarquai les œillades significatives que ces messieurs échangeaient entre eux, j’ordonnai à M. Harley d’aborder la question ; il obéit, mais à peine avait-il commencé, qu’il fut interrompu par le duc de Somerset, qui se leva et s’écria avec véhémence : « Ce serait