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ABIGAÏL.

pour de la sincérité. Son teint était presque noir, et ses sourcils touffus ajoutaient à la dureté de sa physionomie. La taille de ce personnage était un peu au-dessous de la moyenne, et, quoiqu’il eût plus de soixante ans, il paraissait plein de vigueur au moral aussi bien qu’au physique. Vêtu avec simplicité, Godolphin portait un habit complet couleur de tabac d’Espagne, et une perruque assez rude qui s’harmeniait à merveille avec son teint.

Godolphin était un des meilleurs, sinon un des plus grands premiers ministres qui aient jamais eu en main le timon des affaires politiques de l’Angleterre. Il avait modestement refusé le poste éminent qu’il occupait, lorsqu’il lui avait été offert ; Marlborough le força à l’accepter, en déclarant que, si les subsides qu’il lui fallait n’étaient point réglés par Godolphin, il renoncerait à commander l’armée. Les revenus de l’État furent si bien augmentés par ce grand financier, qu’en dépit des dettes contractées par la nation, l’argent placé dans les fonds publics recevait cinq pour cent d’intérêts. À vrai dire, cet homme se faisait remarquer par une probité incorruptible dans l’administration du trésor qui lui était confié, et personne n’eût pu l’accuser d’aucune vénalité dans la distribution des places ; et cependant, malgré la rigide économie de son train de maison, Godolphin se retira des affaires aussi peu riche qu’il l’était en y entrant. Il se refusa même à solliciter la pension de retraite qui lui avait été promise et qu’on lui devait.

Après les salutations d’usage, salutations accomplies de part et d’autre avec plus de froideur et de cérémonie que de coutume, le duc de Marlborough prit la parole.

« C’est avec infiniment de regret que nous nous présentons devant Votre Majesté, le lord trésorier et moi, pour vous conseiller une règle de conduite qui, nous avons lieu de le craindre, se trouve en opposition avec vos inclinations. Néanmoins il est de notre devoir de donner à la rcine des avis, et nous ne reculons pas devant cette tâche, quelque pénible qu’elle puisse être. Nous avons depuis peu découvert avec chagrin que Votre Majesté nous avait retiré sa confiance, à nous ses conseillers éprouvés et responsables, pour l’accorder à une persunno bien peu digne d’une pareille distinction. Chaque fois que Votre Majesté recevait en conférence particulière la personne en question, nous étions, nous, complétement exclus de