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ABIGAÏL.

Entre chacune des arches il y avait un buste sur un piédestal. Les armoires remplies de livres se trouvaient placées entre les fenêtres et formaient de charmants réduits pour la lecture. La muraille opposée aux ouvertures de la salle était tapissée de plans et de cartes. En un mot, la bibliothèque passait pour être la plus agréable retraite de tout le palais.

Sir Harley attendait la reine avec la plus vive impatience, et il ne fit rien pour lui cacher sa joie lorsqu’elle parut à l’entrée de la salle. Après avair rendu son salut au diplomate, Anne s’assit près d’une petile table ronde, sur laquelle se trouvait placé tout ce qu’il fallait pour écrire. Derrière cette table il y avait un grand paravent du Japon ; le prince resta debout près de la reine, le bras appuyé sur le dos de sa chaise.

« Il est temps, madame, dit Harley en parlant avec énergie et précipitation, de prendre une décision positive. Il faut que moi et Saint-John nous nous retirions, ou bien que Godolphin et Marlborough nous cèdent la place. Cette mesure ne saurait être éludée. Je sais de source certaine que pendant le conseil qui, comme le sait Votre Majesté, a été convoqué pour ce matin, mes deux collègues ont l’intention de donner leur démission si je ne suis pas renvoyé. C’est donc une lutte de puissance entre nous. Si je suis soutenu par Votre Majesté, je me fais fort des résultats.

— J’espère, monsieur, que vos ennemis n’exécuteront point leur menace, répliqua Anne fort alarmée de ce qu’elle entendait dire. Nous sommes dans un très-mauvais moment pour changer le ministère.

— Il faut tâcher d’éviter cela, si c’est possible, dit le prince Georges, tout en prenant une énorme prise de tabac.

— Il ne reste aucun moyen de faire autrement, répliqua Harley ; il faut affronter cette rupture, et je dois avouer que je n’éprouve aucune des appréhensions dont Votre Majesté semble être assaillie. Sans doute, il y aura une rumeur générale dans le premier moment, mais elle cessera promptement. La popularité de Marlborough commence à décliner. La guerre des Pays-Bas a trop duré, les fortunes particulières ont été trop lourdement imposées pour compléter les subsides exigés ; aussi tous ceux qui raisonnent n’ont pas tardé à ouvrir les yeux sur les causes de cette mesure vexataire, et l’on a reconnu, à cette heuro où les éblouissements de la victoire se sont évanouis,