Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
ABIGAÏL.

qui se précipita à ses genoux et pressa avec ardeur la main de sa bien-aimée sur ses lèvres.

— Quoi ! vous vous êtes exposé pour moi à un pareil danger ? dit la jeune fille en jetant sur lui un regard de tendre reconnaissance.

— Oui ! j’aurais bravé la mort même pour être auprès de vous, Abigaïl, répliqua-t-il avec passion. Je n’ai pu obéir à la sévère injonction de la reine. Je n’ai pu m’arracher des lieux que vous habitez, et, n’osant me présenter en personne, j’ai adopté un déguisement. J’ai séduit un des serviteurs de la reine, Chillingworth, que je savais être un homme sùr. Il a simulé une maladie et m’a choisi pour remplaçant. Je suis connu ici sous le nom de jeune fille de ma mère : Mezausène. Hélas ! quoique je sois au palais depuis près de quinze jours, je n’ai pu jusqu’à présent trouver une occasion favorable pour vous parler sans m’exposer à un péril inutile. Mais je vous ai vue souvent, Abigaïl, sans pouvoir attirer vos regards. Vous m’avez paru soucieuse, et je me suis persuadé que voire tristesse venait de mon absence. Oh ! combien alors j’ai souhaité pouvoir vous approcher ! vous adresser un signe, hasarder un mot à voix basse ! Mais je me suis fait violence, je me suis contenté de vous regarder, d’être auprès de vous ; je savais bien, moi, que le jour de notre réunion arriverait tôt ou tard.

— Il est heureux que vous ne m’ayez pas fait pressentir votre présence, dit Abigaÿl ; car, si vous m’aviez apparu inopinément, je me serais infailliblement trahie. Mais j’y songe, si vous êtes découvert, notre avenir est à jamais perdu, la reine ne vous pardonnerait pas, et la duchesse a tant d’espions qu’il est nécessaire de prendre les plus grandes précautions.

— J’ai jusqu’à présent échappé à tous les soupçons, répliqua Masham, et, maintenant que je me suis fait connaître à vous, je serai plus tranquille et moins exposé à m’oublier. Mais, dites-moi, avez-vous recouvré les bonnes grâces de la reine ?

— Oh ! oui, tout à fait ! répondit-elle. La duchesse avait repris pendant quelques jours son ancien ascendant. Elle fit alors, tant que sa puissance dura, les plus grands efforts pour me faire renvoyer. Elle y serait peut-être parvenue, si elle avait pu maîtriser son caractère despotique, mais, heureusement pour moi, la reine s’est lassée des scènes violentes de sa favorite, qui s’a-