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ABIGAÏL.

pourrait croire, en vous voyant rire ainsi, que vous n’avez jamais aimé vous-même.

— Peut-être est-ce vrai, répliqua lady Rivers. En tout cas, je ne me pique pas d’une constance romanesque. Allons ! allons ! Adieu ! il me faut vous quitter. »

En disant ces mots la dame d’honneur sortit, et ce fut Mezausène qui lui ouvrit la porte.

« Quelle horrible souffrance que celle d’être séparée de celui qu’on aime ! s’écris Abigaïl presque à haute voix, surtout lorsqu’il faut paraître gaie comme à l’ordinaire, alors que le cœur saigne et que des pleurs amers coulent en secret de vos yeux. Hélas ! il ne faut pas que la reine puisse voir la trace de mes larmes, » ajouta-t-elle en s’essuyant les yeux avec son mouchoir.

Au moment où Abigaïl se dirigeait vers la porte des appartements intérieurs, Mezausène la suivit d’un air fort embarrassé.

La jeune fille était trop préoccupée pour faire attention à lui.

« Miss Hill, j’ai une lettre pour vous, dit-il pourtant d’une voix que l’émotion rendait tremblante.

— Une lettre pour moi ? s’écria Abigaïl avec surprise. Oh ! ce doit être de lui ! » ajouta-t-elle an prenant le papier.

Sans pouvoir maîtriser sa curiosité, Abigaïl rompit le cachet du billet, et en dévora avidement le contenu.

« Juste ciel ! il n’a pas quitté Londres, m’écrit-il, murmura la jeune fille, en proie à un indicible ravissement. Il s’efforcera de me voir bientôt, ici dans le palais. Il ne me dit pas quand et comment. Où cette lettre vous a-t-elle été remise ? demanda-t-elle à Mezausène sans oser lever les yeux sur lui.

— J’ai promis le secret, répondit-il d’un accent troublé ; tout ce que je puis vous dire, mademoiselle, c’est que celui qui l’a écrite est actuellement dans le palais.

— Lui, ici ! L’imprudent ! s’écria Abigaïl en mettant la main sur son cœur.

— Vous paraissez souffrir, mademoiselle, s’écria Mezausène. Vous avancerai-je une chaise ?

— Non, c’est passé, répliqua Abigaïl ; mais, si mes sens ne m’abusent, je viens d’avoir une illusion particulière ; j’ai cru entendre sa voix ! Est-ce… ajouta-t-elle en regardant fixement Mezausène, est-ce vous Masham ?

— Eh bien ! oui, c’est moi, Abigaïl ! répliqua le jeune homme,