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ABIGAÏL.

moi, que je crains fort de m’exposer à une disgrâce si je consens à vous voir désormais.

— Si j’avais pensé pareille chose, je n’aurais certes pas voulu vous exposer à des reproches, répliqua Masham d’un air piqué. Aussi, mademoiselle, pour mettre à couvert votre responsabilité, je vais me retirer sur-le-champ.

— Ce n’est pas là ce qu’Abigaïl veut dire, monsieur Masham, s’écria lady Rivers en éclatant de rire ; et, si vous n’étiez pas si jeune, vous n’auriez pas besoin qu’on expliquât les choses. Mon amie désire seulement vous faire comprendre qu’elle aimerait mieux déplaire à la reine que de renoncer à vous voir.

— Je n’ai rien dit de pareil, lady Rivers, fit Abigaïl avec humeur.

— Alors expliquez-vous clairement, ma chère, reprit ledy Rivers ; tout à l’heure vous mouriez d’envie de voir M. Masham, et maintenant que ce désir est satisfait, vous lui dites presque de s’en aller.

— Sur mon âme, ma cousine, il y a de quoi devenir fou, ajouta Harley, et je rends grâces au ciel de n’être point amoureux de vous. Vous semblez blâmer Masham de s’être battu en duel, et vous savez ou vous devez savoir que c’est à cause de vous qu’il s’est battu.

— C’est exactement ce que dit Sa Majesté, répondit Abigaïl ; elle m’a réprimandée comme si j’avais pu empêcher cette rencontre, et nul ne sait mieux que M. Masham qu’il ne m’a pas consultée avant d’aller se battre.

— Non, mais il a songé à votre réputation, ma cousine, dit Harley.

— Le soin de ma réputation me regarde seule, répliqua Abigaïl, et M. Masham pourra se battre pour moi lorsque je l’aurai choisi pour champion. Que dira-t-on à la cour ? on va chuchoter autour de moi que ces deux rivaux, à l’exemple des anciens chevaliers, se sont battus pour moi, et que je serai le prix du vainqueur : mais je désappointerai bien tout le monde. Je suis persuadée que M. Masham a songé bien plus à l’effet que ce duel produirait sur moi qu’à punir le marquis de son insolente bravade. Mais il aurait dù se dire que ces principes chovaleresques sont tout à fait hors de saison.

— C’est possible, reprit Masham ; mais, à moins que je ne me trompe moi-même, j’ai agi avec un noble motif. C’est l’a-