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ABIGAÏL.

« Cet heureux Masham obtient la sympathie de toutes les dames, remarqua Maynwaring.

— Ce n’est pas étonnant, ajouta Angélica, puisque… »

La belle enfant rougit et hésita.

« Finissez donc votre phrase, ma chère, puisque… quoi ? demanda Maynwaring.

— Je ne sais plus ce que j’allais dire, répondit-elle, de plus en plus confuse.

— Angélica, laissez donc M. Masham déjeuner tranquillement, dit mistress Hyde ; goûlez à ces côtelettes, monsieur, vous les trouverez fort tendres ; ou bien encore à ces rognons, ils sont admirablement assaisonnés. Ainsi donc, vous avez tué le marquis ? Mon digne mari prétend qu’un duelliste est un meurtrier et mériterait d’être pendu. À mon avis, il est un peu trop sévère. Je lui objecte souvent que, si cela se passait ainsi, on pendrait bien des gens de qualité, et croiriez-vous ce qu’il me répond ? « Ce serait justice ! » Prenez donc de la compote de pêches, monsieur, vous la trouverez délicieuse.

— Je ne sais jusqu’à quel point Masham mérite d’être pendu, dit Saint-Jobn en riant ; mais vous vous trompez en supposant qu’il a tué le marquis : ce dernier n’est que très-légèrement blessé.

— Ma foi ! tant pis pour lui, s’écria mistress Hyde. Car, si l’officier de cette nuit a dit vrai, il n’a échappé à la mort que pour en subir une autre plus ignominieuse.

— C’est possible, » dit Saint-Jobn d’un air sombre :

Puis, reprenant presque aussitôt sa gaieté ordinaire, il mit la conversation sur les plaisirs et les beautés de la vie de Londres ; parla de théâtres, de l’Opéra, de concerts, de jardins publics, de bals, de mascarades, de promenades au parc ou au mail ; en un mot, il fit de la vie élégante un si séduisant tableau, qu’Angélica en fut tout à fait charmée.

« Mon Dieu ! dit-elle en soupirant, qu’elles sont heureuses, ces grandes dames qui peuvent rester au lit aussi longtemps que cela leur plaît, et qui, lorsqu’elles se lèvent, n’ont rien autre chose à faire qu’à s’amuser ! Ah ! que ne suis-je née pour un pareil sort ! Ce que j’aimerais par-dessus tout serait d’avoir un petit nègre pour page : il serait coiffé d’un turban blanc orné de plumes. Je souhaiterais avoir une jolie chambre, avec un grand paravent en laque du Japon et des étagères couvertes