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ABIGAÏL.

On éprouve toujours un grand plaisir à contempler dès le matin un joli visage, et, malgré son embarras, Angélica était charmante. Son teint était si frais, ses yeux si limpides et ses dents si blanches !

Elle regardait autour d’elle avec une admiration mal déguisée les couvercles d’argent qui maintenaient la chaleur sur l’omelette savoureuse et les tendres côtelettes, les œufs enfouis sous les replis d’une serviette aussi blanche que la neige, la bouilloire d’argent réchauffée par une lampe à l’esprit-de-vin, la ravissante chocolatière et les délicieuses petites tasses bleues de la plus belle porcelaine de Saxe, puis encore des flacons d’argent pour ceux qui préféraient le vin de Bordeaux au thé de Chine.

Lorsque la charmante enfant eut passé tout cela en revue, ses yeux se portèrent sur le buffet, où étaient rangés en bon ordre un poulet froid, un jambon, une langue farcie, deux patés et un hachis de viandes. Un maître d’hôtel, d’une tenue irréprochable, se tenait prêt à distribuer ces mets et à faire circuler le contenu des bouteilles au long cou qui rafraîchissaient dans des seaux d’argent.

Comme toutes les filles de la campagne qui se portent bien, Angélica avait un bon appétit, et elle ne connaissait pas assez les belles manières pour s’abstenir de le satisfaire. Elle acceptait donc volontiers tout ce qui lui était offert ; mais ses exploits gastronomiques n’étaient que des jeux d’enfant, comparés à ceux de sa mère, qui tombait en extase à chaque plat et qui dévorait tout ce qui était à sa portée.

« Juste ciel ! s’écria mistress Hyde, mais ce déjeuner est beaucoup plus copieux que celui que nous a donné le squire Clavering au mariage de sa fille Sukey. Goûtez donc à ce jambon, Angélica ! Certes, je m’y connais pour faire cuire un jambon ; mais cette préparation surpasse ma science ; celle langue aussi est d’un goût exquis. Rien n’est plus difficile que de faire cuire une langue, monsieur Saint-John, et je suis sûre que votre cuisinier le sait aussi bien que moi. Donnez-moi une autre tranche, monsieur, s’il vous plaît. Bon ! puisque vous insistez tant, j’accepterai aussi un rognon. Angélica, mon ange, vous ne mangez pas. Pauvre enfant ! elle s’est tant tourmentée au sujet de son père, qu’elle en a perdu l’appétit. Prenez un peu de cette marmelade d’abricots, ma chère âme, cela vous fera du bien. M. Saint-John dit qu’il fera ren-