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ABIGAÏL.

Plusieurs circonstances fortuites contribuèrent à accélérer les succès d’Abigaïl. Exaspérée contre la duchesse, qui, pour un léger malentendu, venait de la quitter en l’accablant des plus amers reproches, la reine éclata en sanglots devant sa nouvelle amie, qui s’ingénia avec tant de zèle et de succès à consoler sa maîtresse, que son empire data de ce jour.

Redoutant la jalousie et la colère de son ancienne favorite, Anne fut soigneuse de lui cacher sa préférence croissante, ce qui fit que la duchesse resta dans l’ignorance et ne s’aperçut du mal que lorsqu’il fut trop tard pour y porter remède. Abigaïl de son côté, quoique déjà dépositaire des plus intimes pensées de la reine, et comprenant à merveille l’immense importance de la position qu’elle avait conquise, eut le bon sens de s’abstenir de toute démonstration extérieure, sachant bien que la moindre indiscrétion pouvait nuire à sa naissante fortune.

Harley, par le canal de l’auxiliaire qu’il s’était créé, se hasarda alors à s’offrir à la reine pour la délivrer du joug de la duchesse, s’il lui plaisait de lui confier ce soin. Mais Anne hésita : elle craignait le retentissement qui en serait la suite. À cette époque, la victoire de Ramillies vint opérer un changement favorable dans la situation périlleuse de la duchesse.

Le duc de Marlborough était incontestablement l’homme le plus remarquable de la cour de la reine Anne ; il eût brillé au premier rang dans quelque cour que ce fût en Europe, comme homme d’État ou comme général d’armée. À vrai dire, la carrière militaire étant son principal mérite, il y avait déployé un rare génie dans quatre glorieuses campagnes, immortalisées par les victoires de Schellenberg, Blenheim et Ramillies, et avait, par ces hauts faits, atteint l’apogée de la renommée humaine. Ces exploits lui avaient valu, outre de notables avantages dans son pays, les félicitations de presque tous les potentats ; l’empereur Joseph lui avait conféré le titre de prince, et les deux parlements avaient cru, à différentes reprises, devoir lui voter des remerciments pour ses éclatants services.

Aucun général n’avait élevé si haut la gloire militaire de l’Angleterre ; ausi sa popularité était-elle immense. Ses succès étaient le thème de toutes les conversations, ses louanges passaient dans toutes les bouches. Ceux-là méme qui le blâmaient en secret l’applaudissaient hautement ; et il était en effet digne