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ABIGAÏL.

tantes révélations touchant les intrigues clandestines de la cour de Saint-Germain. La duchesse de Marlborough traitait toujours Harley avec dédain, et elle se comportait à son égard avec une hauteur si méprisante, qu’on soupçonna qu’il avait osé lui faire des propositions malséantes.

Il était notoire qu’il se montrait peu scrupuleux quant aux moyens qu’il employait pour parvenir, et, comme le chemin des honneurs lui eût été facilement aplani s’il eût pu obtenir la faveur de la toute-puissante duchesse, ce soupçon prit de la consistance. Néanmoins, soit par dépit de voir ses vœux repoussés, soit par toute autre cause, il conçut la plus violeute antipathie contre la duchesse, et résolut de détruire son crédit auprès de la reine, de renverser son mari et Godolphin, et de rétablir le cabinet whig, avec un ministère tory dont il serait le chef.

Ce plan hardi une fois arrêté, il était essentiel, afin de parvenir à le mettre à exécution, de trouver le moyen d’approcher secrètement de la reine, ce qui paraissait presque impossible, vu la vigilance de la duchesse ; il songeait à ces difficultés, lorsque tout à coup l’instrument qu’il lui fallait s’offrit inopinément à ses regards.

Un jour, se trouvant à Saint-James pour les devoirs de sa charge, il aperçut, parmi les femmes de la reine, sa cousine Abigaïl Hill, fille ainée d’un marchand banqueroutier, qui était alliée à la duchesse de Mariborough au même degré qu’à lui-même. Elle venait tout récemment d’être placée dans la maison royale par la protection de Sa Grâce. Harley, vu les malheurs de famille, l’avait jusqu’alors complètement négligée ; mais, comprenant subitement de quelle utilité Abigail pouvait être pour lui, il la félicita au sujet de sa nomination et manifesta le plus vif désir de la servir.

Toute neuve à la cour, et ignorant les desseins du dipiomate, Abigaï le crut et lui pardonna sa précédente froideur. L’artificieux secrétaire d’État ne négligea aucune occasion de s’insinuer dans la confiance de sa cousine, et se hâta de semer quelques brandons de discorde entre elle et la duchesse. En même temps il lui indiqua la marche à suivre pour gagner la faveur de la reine. Ces conseils, donnés judicieusement et avec une parfaite connaissance des faibles de la reine, furent religieusement suivis et eurent les résultats prévus. Abigaïl Hill devint en peu de temps la favorite et la confidente de sa royale maîtresse.