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ABIGAÏL.

l’autre, attachés au parti du haut clergé, et entrés aux affaires en 1704, à l’époque où sir Harley consentit à devenir secrétaire d’État à la place du comte de Nottinghamn, à la condition que son ami Saint-John deviendrait secrétaire à la guerre : demande qui lui fut accordée sans peine, car l’esprit et l’éloquence de Saint-John, joints à ses rares talents et à ses gracieuses manières, l’avaient depuis longtemps mis en relief. Il est vrai que ses folles prodigalités avaient seules empêché son avancement. Toutefois, depuis sa nomination, il s’était appliqué au travail avec une ardeur pareille à celle qu’il apportait auparavant à ses plaisirs, et il déploya des talents si transcendants et si extraordinaires, des ressources de génie tellement remarquables, qu’il n’était aucun poste administratif, quelque élevé qu’il fût, auquel il ne parût pouvoir prétendre. Parmi les savants et les lettrés son opinion faisait loi ; il était à la fois l’arbitre suprême du goût et de la mode, aussi bien que de la politique.

Robert Harley était tout le contraire ; il n’avait point comme Saint-John l’éclat d’un météore, une entrainante éloquence, des connaissances classiques et une philosophie éclairée, mais il comprenait vite et bien ; son esprit était très-subtil et son ambition toujours excitée, quoique satisfaite. Il jouissait dans tous les partis de la réputation d’un financier très-habile, possédant une intelligence claire et lucide et fort précieuse peur les affaires ; mais en réalité il n’était attaché à aucun parti, L’union avec l’Écosse était due uniquement à ses infatigables efforts.

Sir Harley affectait une grande modération, et par ce moyen il déguisait son inconstance. Sa maxime favorite était qu’on devrait abolir le nom de parti. Il professait une complète indépendance et se tenait à l’écart, dans le but de se créer de l’influence dans les deux camps. Ses manières agréables et polies, ses talents éprouvés et son expérience lui avaient valu le poste d’orateur-président de la Chambre des communes pendant les deux derniers parlements de Guillaume III, et à l’avénement d’Anne, il garda cette charge jusqu’au moment où il fut nommé secrétaire d’État, en 1704.

Sir Harley, pour plusieurs raisons, s’était rendu odieux à Godolphin. On supposait entre autres choses qu’il avait supplanté le lord trésorier dans les bonnes grâces d’une certaine mistress Oglethorp, par le canal de laquelle on avait obtenu d’impor-