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ABIGAÏL.

Tom une ballade mélancolique, nul ne connaissait mieux l’art d’écrire élégamment une chanson à boire ou des strophes amoureuses dans ce style affecté qui était de mode à l’époque de la jeunesse du poëte.

Comme son confrère Wicherley, Tom d’Urfey était fort usé. Il eût été d’ailleurs surprenant qu’il ne le fût pas, après la vie de libertinage à laquelle il s’était abandonné. Mais en dépit des rhumatismes, de la goutte volante et d’autres maux encore, il eût été difficile de trouver un plus joyeux convive que le vieux Tom. Nul ne savait mieux que lui jouir des biens de la terre, et personne ne les appréciait davantage. Le costume de d’Urfey était fort râpé ; mais il est vrai de dire qu’il était peu riche… Du reste, si son habit était usé jusqu’à la corde, ses bons mots étaient neufs et bien plus animés que ceux de Congrève, le compassé : son rire même respirait la plus franche gaieté.

Tom d’Urfey possédait un véritable talent lyrique, tout à fait exempt de l’affectation habituelle des modernes faiseurs de ballades. Travailleur infatigable, il avait composé plus de trente comédies, qui aujourd’hui sont presque toutes oubliées. Hélas ! pauvre Tom ! à notre époque dégénérée, tes joviales saillies ont à peine trouvé un lointain et faible écho !

Guiscard était assis à côté de d’Urfey. Près du marquis était mistress Centlivre, auteur spirituel de plusieurs comédies excellentes, mais licencieuses : c’était le goût de l’époque. Trois d’entre elles : l’Officieux, la Merveille, une Femme garde un secret, ainsi que une Tentative hardie pour une femme, ont été maintenues au répertoire. Mistress Centlivre, fort belle jadis, avait été mariée trois fois. Son dernier mari, M. Joseph Centlivre, avait été cuisinier du roi Guillaume III. La dernière comédie qu’elle avait composée, une Dame platonique, venait d’être représentée avec assez de succès au théâtre de HayMarket.

Le voisin de droite de mistress Centlivre se nommait sir Samuel Garth, physicien et poëte célèbre, estimé pour ses aimables qualités autant que pour ses talents. Garth passait pour être un bel homme, d’une corpulence respectable et d’une toiJette composée de vêtements faits d’après la mode particulière de l’époque et taillés dans du velours noir.

Près de lui se trouvait une dame, la quatrième et la dernière