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ABIGAÏL.

Près de lui était placé un autre bel esprit, d’un extérieur moins remarquable, mais d’un mérite égal, quant aux facultés intellectuelles.

Sir Joh Vanbrugh, car c’était lui, causait avec un monsieur âgé, qui, avec son dos voûté, l’absence totale de dents et les rides profondes creusées sur ses joues, rides ineffaçables malgré la couche de fard qui les couvrait, affectait cependant des airs coquets et juvéniles. Ce personnage était vêtu à la dernière mode, et portait, avec une cravate et des manchettes de dentelle, une perruque aux boucles ondoyantes et des bagues de prix à tous les doigts. Il était difficile de reconnaître ce vielllard présomptueux, dont les membres tremblotants ét les yeux chassieux auraient mieux été placés sur un lit que devant la table d’un festin, pour l’ami autrefois renommé par sa beauté, et toujours spirituel, de Sidley, Rochester, Elheridge et Buckingham, pour le compagnon favori du joyeux monarque lui-même, celui qui, par ses grâces et sa brillante réputation, avait conquis et obtenu la main de l’opulente et belle comtesse de Droghade, et dont les comédies sont tout au plus inférieures à celles de Congrève et de Vanbrugh. Cet homme s’appelait William Wycherley.

Vis-à-vis le poëte caduc, on remarquait un jeune homme à l’air emprunté, aux vêtements simples, dot la plysionomie annonçait une finesse exquise et un grand bon sens. Sir Tickell, c’était son nom, écoutait áttentivement son voisin, personnage corpulent, aux joues fraîches, au visage bellâtre, accoutré d’un habillement complet en velours fleur de pêchér, et qui n’était autre que l’illustre Joseph Addison.

Ce grand auteur des Essais n’avait pas encore, à cette époque, dit son dernier mot au public. En attendant que son talent admirable se fût mûri, il s’était fait connaître principalement par la publication de ses Voyages, par un poème intitulé Campagne, et par un opéra insignifiant appelé Rosamonde.

Addison occupait le poste de sous-secrétaire chez lord Sunderland, qui, en succédant à sir Charles Hedges (auquel Addison avait dû primitivement sa nomination), l’avait conservé dans l’exercice de ses fonctions.

L’écrivain avait à sa droite le joyeux, l’aimable, le bon, l’insouciant Richard Steele, sur le tempérament duquel la bonne chère et les copieuses libations indispensables pour ar-