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ABIGAÏL.


XI


Masham rencontre chez M. de Saint-John üne réunion de beaux esprits. Moyens proposés par lui pour ajuster un différend qui s’éleva entre mistress Bracegirdle et mistress Oldfleld.


Masham dina seul, et, lorsqu’il eut achevé les préparatifs qu’il croyait nécessaires pour son duel du lendemain, il se rendit vers dix heures à la résidence de Saint-John dans SaintJames-Place.

Les convives, plus nombreux qu’il ne s’y attendait, étaient déjà à table, mais une place lui avait été réservée entrë Maynwaring et Prior : Masham s’y glissa comme s’il eût désiré ne point être aperçu. Il connaissait tous ceux présents, quelques-uns de réputation etpresque tous personnellement ; et passant en revus toute l’assistance, composée de la plupart des gens les plus spirituels de l’époque, il se dit en lui-même qu’il avait peu de droits à siéger parmi eux.

Le haut bout de la table était, comme de raison, occupé par Saint-John, qui paraissait d’une humeur charmante. À sa droite était assise une femme de l’ensemble le plus séduisant, dont les beaux yeux bruns avaient un éclat extraordinaire. Les cheveux et les sourcils de cette beauté châtoyaient, à la lueur des bougies, d’une nuance de jais pareille aux plumes d’un corbeau.

Et pourtant le teint de la dame offrait des couleurs éclatantes. Quoiqu’elle eût dépassé la première jeunesse, sés charmes n’avaient rien perdu de leur puissance. Le sourire délirant immobile sur ses lèvres avait exercé un pouvoir magique sur bien des cœurs ; en un mot, cette personne gracieuse étuit la ravissante mistress Anne Bracegirdle, et jamais plus admirable actrice n’avait foulé le plancher d’un théâtre.

Le gentleman qui se trouvait à sa droite se faisait remarquer par des manières de courtisan, de beaux traits d’un calme parfait et d’une pureté sans pareille. Il comblait de soins empressés sa voisine, qui le nommait M. Congrève.