Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a le sentiment de son être ; le cerveau est lucide, on voit, on veut, on sent, on entend, on se souvient ; au lieu que dans la léthargie, l’âme et le corps sont également paralysés ; je m’introduisis dans le château dont j’avais une clé, vous vous le rappelez, madame ? je vous fis transporter dans une voiture, je me plaçai à côté de vous ; une demi-heure plus tard vous étiez embarquée sur un bâtiment côtier qui par un temps horrible, au risque de se perdre mille fois corps et biens, vous conduisit aux Sables d’Olonnes ; là, une maison achetée par moi, était prête à vous recevoir. J’avais fait prévenir le docteur Guénaud, le médecin du Cardinal et de la Reine régente, vieil ami de votre famille. Je croyais pouvoir compter sur son silence ; j’eus avec lui dans la chambre où l’on vous avait portée, une explication que l’arrivée de votre frère interrompit brusquement. Votre frère commandait une frégate, alors en croisière sur les côtes d’Espagne ; comment avait-il appris l’état dans lequel vous vous trouviez ? qui lui avait révélé mes projets ? qui lui avait donné les renseignements positifs qui l’amenaient directement à l’heure précise, là où je me croyais si bien caché ? Je l’ignore ; il y eut alors entre votre frère et moi une scène terrible dont le récit vous fatiguerait inutilement ; à la suite de cette scène, votre frère me fit enlever par des gens apostés, embarquer de force sur mon propre navire dont il s’était emparé, et après avoir passé son épée à travers le corps de mon frère qui essayait de me défendre, il s’éloigna, nous en menant comme un tigre emporte sa proie. Votre frère, madame, après m’avoir contraint à écrire une lettre dans laquelle je déclarais être blessé à mort, me vendit à un corsaire d’Alger, dont je fus l’esclave pendant dix-huit ans ; ramant comme un forçat avec la chiourme, battu par les comites et traité comme un misérable.

Il se tut et cacha sa tête dans ses mains.

— Ah ! ah ! dit la duchesse avec un sentiment amer ; j’ignorais que mon frère eût poussé si loin sa vengeance.