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fait le malheur des uns fait le bonheur des autres ; soyez tranquille, je ne dirai rien.

— Et tu feras bien, mon camarade ; répondit le Chat-Tigre, avec un accent qui fit courir un frisson de terreur dans les veines du pauvre diable ; tu sais que je ne suis pas tendre ? si j’apprends que tu aies dit un mot, nous aurons un compte à régler ensemble ; sur ce, adieu et bonne chance.

— Adieu, seigneurie, répondit humblement le geôlier.

Et il s’enfuit en courant ; quant au Chat-Tigre, un sourire sardonique éclaira un instant son sombre visage, puis il s’éloigna à grands pas dans une direction opposée à celle prise par le geôlier ; nous l’abandonnerons pendant quelques instants pour nous rendre au palais du duc de la Torre, où régnait en ce moment la plus grande confusion.

La duchesse et sa fille avaient été brutalement tirées de leur sommeil par les décharges d’artillerie et les cris de désespoir des fuyards ; les deux dames habillées en toute hâte, s’étaient rendues à l’appartement du duc, pour chercher auprès de lui, protection et sûreté contre les dangers, inconnus encore, qu’elles redoutaient.

Muñoz, un des serviteurs de confiance laissés par le duc à son hôtel, en s’éloignant, avait cru de son devoir d’avertir sa maîtresse de ce qui se passait, et de la résolution prise par le duc, de se mettre à la tête des troupes et d’essayer, si cela était encore possible, de sauver la ville.

La duchesse approuva hautement la conduite généreuse de son mari ; mais dans son for intérieur elle regretta d’être ainsi abandonnée et isolée dans son palais, sous la garde de deux hommes incapables de la protéger, au cas où la maison serait envahie par des bandits ; cependant la duchesse était une femme d’un grand esprit et d’un courage éprouvé ; elle donna l’ordre de fermer et de barricader les portes avec soin, et de ne laisser pénétrer personne dans l’hôtel, sans l’en prévenir.