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Elle se leva, alla ouvrir un tiroir secret d’un charmant meuble en bois de rose, en retira une espèce d’album relié en fer et le présentant au docteur :

— Regardez, lui dit-elle.

Le docteur prit l’album et l’ouvrit machinalement.

— Des billets de banque ! s’écria-t-il avec surprise mais il y en a là pour une somme énorme !

— Cet album renferme deux millions six cent cinquante mille francs, c’est-à-dire les deux tiers de la somme que j’ai apporté en dot à mon mari ; regardez, il y a quatre cents billets de cinq mille francs, et six cent cinquante billets de mille ; ainsi réalisée, cette fortune tient dans un petit espace, et est facile à emporter avec soi.

— En effet, madame, dit un peu sèchement le docteur, je vois que depuis longtemps vos précautions sont prises.

— Oui, docteur, la pensée de fuir m’est venue le lendemain du jour où mon mari, pour me contraindre à lui donner de l’argent, a essayé de m’empoisonner avec une limonade.

— Ainsi, vous êtes résolue à fuir ?

— Oui, docteur, jusqu’au bout du monde s’il le faut ; quand même, au lieu d’être riche comme je le suis, je serais pauvre, je partirais ; rien ne pourra me contraindre à rester plus longtemps liée à un pareil monstre ; voilà pourquoi je vous demande conseil, mon bon docteur ; car en vérité je ne sais que faire ; une foule de projets bouillonnent dans ma tête sans que je réussisse à m’arrêter à l’un plutôt qu’à l’autre.

— Pourquoi ne demandez-vous pas votre séparation devant les tribunaux ?

— Quand même j’obtiendrais cette séparation, cela empêcherait-il mon mari de m’assassiner et de me voler ? Non : ce moyen ne vaut donc rien ; d’ailleurs, quelle que soit l’issue d’un procès en séparation, la femme en sort toujours déshonorée, et je ne veux pas l’être ; elle n’est plus ni fille, ni mariée, ni veuve ; cette position est intolérable. Seul le divorce, s’il existait, me sauverait peut-être, et encore qui sait ? Non, il faut que je dispa-