Page:Aimard - Les Francs-tireurs, 1866.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
438
LES FRANCS TIREURS

Maître Lovel, la tête penchée en avant, cherchait à découvrir son chef. De grosses larmes coulaient le long de ses joues hâlées, et tous ses membres étaient agités de mouvements convulsifs.

Les Mexicains approchaient de plus en plus. Déjà ils étaient assez près pour qu’on pût facilement distinguer le nombre de leurs barques, et un brick-goëlette sortait à son tour de la crique et faisait force de voiles pour se joindre à la flottille d’abordage et assurer le succès de l’attaque.

En ce moment un cri lugubre, désespéré comme un dernier râle d’agonie, traversa l’espace et fit tressaillir d’épouvante tous ces hommes qu’aucun danger ne pouvait émouvoir.

— Oh ! le malheureux ! s’écria Tranquille en se levant et en faisant un geste pour s’élancer.

Lovel l’arrêta par la ceinture, et malgré sa résistance, l’obligea à se rasseoir.

— Que faites-vous donc ? lui demanda-t-il.

— Eh ! reprit Tranquille, j’acquitte ma dette envers votre capitaine : il a risqué sa vie pour moi, je vais à mon tour risquer la mienne pour le sauver.

— Bien ! by god ! s’écria le contre-maître, vous êtes un homme ! Mais tenez-vous en repos ; ceci ne vous regarde pas, j’en fais mon affaire.

Et avant que Tranquille eût eu le temps de lui répondre, il plongea dans les flots.

Le capitaine avait trop présumé de ses forces. À peine dans l’eau, sa blessure lui avait causé des souffrances intolérables, et son bras s’était engourdi. Avec cette ténacité qui faisait le fond de son caractère, il avait voulu lutter contre la douleur, et la