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LES FRANCS TIREURS

écubiers, et le bruissement indistinct d’armes serrées par des mains crispées.

Cette hésitation suprême avait quelque chose de sinistre et d’effrayant ; le commandant résolut, coûte que coûte, de la faire cesser : il comprenait qu’à lui seul appartenait de tenter un dernier effort auprès de ces hommes égarés, mais qui, peut-être ne demeureraient pas sourds à la voix du devoir parlant par la bouche d’un homme dont ils avaient été maintes fois à même d’apprécier le noble caractère, et que longtemps ils avaient été accoutumés à respecter et à aimer.

Le commandant Rodriguez promena lentement autour de lui un regard triste, mais cependant ferme ; et, étendant le bras dans la direction du brick, qui serrait le vent de plus en plus afin de pouvoir plus facilement élonger la corvette en l’accostant :

— Équipage, dit-il d’une voix forte et accentuée, voici l’ennemi. Nous avons une revanche à prendre contre lui ; pourquoi chacun de vous n’est-il pas à son poste de combat ? Que me voulez-vous ? Craignez-vous que lorsque sonnera l’heure de la lutte je vous fasse défaut ?

À cette interpellation si ferme et si directe, un frémissement indéfinissable parcourut les rangs des révoltés ; quelques-uns d’entre eux se préparaient à répondre, lorsqu’une voix s’éleva des derniers rangs.

— Qui vous dit que nous considérons ce bâtiment comme un ennemi ? s’écria-t-elle.

Immédiatement, des hurras et des trépignements de joie mêlés à des jurons et à des sifflets, partirent de tous les côtés.