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LES FRANCS TIREURS.

la mitraille, ces hommes aux traits rudes et farouches groupés en désordre dans des attitudes menaçantes, puis, à quelques pas à peine devant eux, un petit groupe d’officiers calmes et résolus, pressés autour de leur commandant qui, debout sur son banc de quart, semblait dominer cette scène et planer, pour ainsi dire, sur tout ce qui l’entourait ; enfin, un peu en arrière, doña Mencia et les deux officiers américains, spectateurs en apparence désintéressés des événements auxquels le hasard les obligeait d’assister, mais, en réalité, suivant d’un regard anxieux toutes les péripéties du drame qui se déroulait sous leurs yeux : certes, dans la position des divers personnages de cette histoire, et dans l’expression qui, par éclairs se reflétait sur leurs mâles visages, un peintre aurait trouvé un magnifique sujet de tableau.

Puis, au loin, à l’horizon, on voyait blanchir les hautes voiles du brick qui se rapprochait rapidement, dans l’intention, sans doute, de venir, comme le Deus ex machinâ antique, dénouer, lorsqu’il en serait temps, cette situation que chaque seconde qui s’envolait tendait davantage.

Il y eut une minute de trêve entre les deux partis qui, semblables à des duellistes consommés, cherchaient, avant d’engager définitivement le fer, le point vulnérable de leur adversaire.

Un silence profond régnait sur le pont de ce navire, où, en cet instant tant de passions bouillonnaient dans les replis cachés de toutes ces poitrines de bronze ; on n’entendait d’autre bruit que le mugissement sourd et monotone de la mer, qui se brisait sur les flancs de la corvette ou s’engouffrait aux