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LES FRANCS TIREURS

mechero d’or qu’il tira de sa poche, alluma son papelito, et bientôt il fut enveloppé d’un épais nuage de fumée bleuâtre et odorante qui monta en tourbillonnant au-dessus de sa tête et lui forma une espèce d’auréole.

Alors l’inconnu rejeta le corps en arrière, ferma à demi les yeux et se plongea dans cette douce extase, que les Italiens nomment le dolce far niente, les Espagnols la siesta, les Turcs le kief, et à laquelle nous autres Français, natures plus énergiques et plus fortement trempées, nous n’avons pas trouvé de nom par la raison toute simple que nous ne la connaissons pas.

À peine l’inconnu était-il à la moitié de sa cigarette, qu’un second personnage entra dans le salon. Ce deuxième individu, sans paraître aucunement remarquer la personne qui l’avait précédé, agit cependant absolument comme elle, ôta son zarapé, s’étendit dans une butacca, alluma une cigarette et se mit à fumer ; bientôt le sable du jardin cria sous les pieds d’un troisième visiteur, suivi presque immédiatement d’un quatrième, puis d’un cinquième ; bref, au bout d’une heure, vingt personnes étaient réunies dans ce salon. Ces vingt personnes fumaient insoucieusement en apparence et depuis leur arrivée n’avaient pas échangé une parole entre elles.

Du reste, elles ne semblaient nullement se préoccuper de la présence les unes des autres, et elles continuaient nonchalamment à s’envelopper de nuages de fumée.

Six heures sonnèrent à une pendule placée sur une console.

À peine le dernier coup de l’heure eut-il fini de