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LES FRANCS TIREURS.

yeux ardents brillaient comme des charbons étincelants au milieu des broussailles.

Parfois, dans les lointains de la forêt, des lueurs filtraient à travers l’ombrage et couraient sur l’herbe fine des marécages comme des feux follets ; de grands sumacs desséchés se dressaient aux angles de la clairière où le campement était établi, et aux reflets fantastiques du brasier, ils agitaient comme des fantômes leurs linceuls de mousse et de lianes. Mille rumeurs passaient dans l’air ; des cris sans nom s’échappaient des tanières invisibles creusées sous les racines des vieux arbres ; des soupirs étouffés descendaient du haut des cimes des quebradas ; on sentait vivre autour de soi un monde inconnu, dont la proximité glaçait l’âme d’une secrète terreur.

La nature était triste et menaçante, comme lorsqu’elle est en travail d’un de ces terribles bouleversements si fréquents dans ces régions.

Malgré eux, les chasseurs subissaient l’influence de ce malaise du désert ; il y a des heures noires dans la vie, où, soit action des objets extérieurs, soit disposition commune et mystérieuse de l’être intérieur, ce moi qu’on ne peut définir, les hommes les plus forts se sentent à leur insu gagnés par une contagion étrange de tristesse qu’ils semblent respirer dans l’air et qui les abat sans qu’ils puissent s’en défendre. Les nouvelles apportées par Quoniam avaient encore augmenté cette disposition des chasseurs à la mélancolie ; aussi la conversation autour du foyer, ordinairement gaie et insouciante, était-elle triste et saccadée ; chacun se laissait aller au flot de sombres pensées qui lui serrait le cœur, et