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LES FRANCS TIREURS.

on se sent pris de peur ; c’est justement ce qui m’arrivait en ce moment.

Les chasseurs sourirent de la naïve franchise du nègre, mais ils se gardèrent bien de l’interrompre, comprenant instinctivement qu’il arrivait à l’endroit le plus intéressant de sa longue et prolixe narration.

— Aussitôt, continua celui-ci, les manières de ces hommes changèrent complètement à mon égard ; autant ils avaient été brutaux, autant ils devinrent polis et empressés. — Conduisons-le au commandant, dit l’un d’eux. Les autres applaudirent ; moi je me laissai faire, résister eût été une sottise. Je suivis sans observation l’homme qui me conduisait vers son chef, bien qu’en maudissant intérieurement le guêpier dans lequel j’étais tombé. La course ne fut pas longue heureusement. Savez-vous, Tranquille, qui était ce commandant auquel on me conduisait ?

— Le Jaguar, répondit le chasseur.

— Ah bah ! fit le nègre avec étonnement, vous l’avez deviné ! Eh bien ! moi je vous jure que je ne m’en doutais pas du tout et que je fus fort surpris de le voir ; du reste, je dois lui rendre cette justice d’avouer qu’il me reçut fort bien. Il me questionna sur beaucoup de choses auxquelles je répondis du mieux que je pus : d’où je venais, ce qu’on faisait à l’hacienda, où j’allais, que sais-je encore ? enfin il causa avec moi pendant plus d’une heure, puis, satisfait sans doute des renseignements que je lui avais donnés, il me laissa libre de continuer ma route et reprit la sienne. Il paraît qu’il va tout droit à l’hacienda del Mezquite.