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LES FRANCS TIREURS

avoir mal fait de partir sans vous avoir averti et j’ai été sur le point de revenir.

— Vous auriez eu tort.

— À présent j’en suis convaincu et je me félicite d’avoir poussé en avant. La course n’est pas longue d’ici à l’hacienda del Mezquite à vol d’oiseau ; mon cheval est bon, je coupai en droite ligne et en huit heures j’eus franchi la distance.

— C’est bien marché.

— N’est-ce pas ? mais j’étais pressé de vous rejoindre et je tenais surtout à ne pas perdre de temps en route. Lorsque j’arrivai au Mezquite, l’hacienda était en rumeur. Les peones, les vaqueros groupés dans le patio parlaient et criaient tout à la fois, tandis que le capalaz, le mayordomo et le señor haciendero lui-même, pâles et défaits, distribuaient des armes, faisaient élever des barricades devant les portes, placer des canons sur leurs affûts et prenaient en un mot toutes les précautions d’hommes qui redoutent d’être attaqués d’un moment à l’autre. Il me fut d’abord impossible de me faire entendre, tout le monde parlait à la fois, les femmes pleuraient, les enfants criaient, les hommes juraient, c’étaient à se croire au milieu d’une maison de fous, tant ils semblaient tous ahuris et épouvantés ; enfin, à force d’aller de l’un à l’autre, interrogeant celui-ci, m’informant à celui-là, voici ce que j’appris : je compris alors la terreur générale ; l’affaire, je vous jure, en valait la peine.

— Dites vite, mon ami, s’écria le Cœur-Loyal avec une impatience mal contenue.

Quoniam n’avait de sa vie eu la prétention d’être orateur. Le digne nègre, fort modeste de sa nature,