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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Il y eut un moment d’anxiété terrible.

— Non, ajouta le jeune homme en lâchant son ennemi et en retombant, ce serait lâche, ma vie appartient à cet homme, il me l’a gagnée !

Les assistants ne purent retenir un cri d’admiration.

Don Estevan épaula froidement son fusil et le déchargea à bout portant dans la poitrine du jeune homme étendu à ses pieds.

— Ainsi périssent tous les traîtres ! dit-il.

— Mon Dieu, s’écria don Torribio en se relevant sur les genoux, par un effort suprême, et levant au ciel un regard brillant d’espoir, mon Dieu ! je vous remercie, vous m’avez pardonné !

Son visage prit une expression de joie radieuse et, retombant en arrière, il expira.

Doña Hermosa avait disparu !

Quand le Chat-Tigre, qui longtemps avait combattu comme un lion au plus fort de la mêlée, avait reconnu que tout était perdu et qu’il ne lui restait plus qu’à échapper par une prompte fuite au sort que lui réservaient les Mexicains, s’il tombait entre leurs mains, il avait rallié autour de lui une poignée de ses braves guerriers, s’était emparé de doña Hermosa malgré ses cris et ses prières, l’avait jetée en travers sur sa selle, et, poussant son cheval au milieu des combattants, il s’était ouvert un passage, et, suivi des guerriers qui lui étaient restés fidèles, il avait réussi à sortir de la ville et à gagner la campagne.

Lorsque les Mexicains s’aperçurent de sa fuite, il était trop tard pour le poursuivre : comme l’aigle emportant sa proie dans ses serres, le vieux bandit était déjà hors de toute atteinte.


XV

UN MOIS APRÈS


Il était environ quatre heures du soir, les rayons du soleil, de plus en plus obliques, allongeaient démesurément l’ombre des arbres. Les oiseaux regagnaient à tire-d’ailes leurs gîtes de nuit et se blottissaient à qui mieux mieux sous la feuillée avec des cris et des piaillements assourdissants ; quelques troupes de loups rouges commençaient à apparaître au loin, prenant le vent, et préparant leur chasse nocturne ; au-dessus des grandes herbes on voyait çà et là surgir les hautes ramures des elkes et des chevreuils, qui soudain rejetaient leur tête en arrière et se remettaient à fuir avec une rapidité vertigineuse ; le soleil, presque au niveau de la ligne d’horizon, n’apparaissait plus entre les troncs des arbres que sous la forme d’un énorme globe de feu.

Tout annonçait l’approche rapide de la nuit.