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— Tu me plais, tu es un joli garçon ; viens donc, puisque tu le veux.

Ils remontèrent dans l’embarcation qui, en quelques minutes, les conduisit à bord du brick. Cependant, ce ne fut pas sans éprouver un secret serrement de cœur et un tressaillement nerveux que le jeune homme posa le pied sur le pont de ce navire, où il allait vivre désormais au milieu de ces hommes qu’on lui avait représentés comme des bêtes féroces, n’existant que de meurtre et de pillage, sans foi, sans loi et sans patrie.

La même nuit, vers trois heures du matin, le brick-goélette Le Caïman larguait son amarre et prenait le large, emportant avec lui le lieutenant Martial et le contremaître Aguirre, les deux nouveaux enrôlés.

Le capitaine Vent-en-Panne avait donné la route sur Saint-Domingue ; sa croisière était terminée et il rentrait au Port-de-Paix.


VII

LE SAUVETAGE

Au moment où les trois marins, Philippe en tête, s’élancèrent hors du Saumon couronné, un spectacle terrible s’offrit soudainement à leurs yeux et les fit presque reculer d’épouvante. D’un point de l’horizon à l’autre, le ciel n’était qu’une nappe de feu incessamment sillonnée par les zigzags verdâtres des éclairs. Le tonnerre grondait sans relâche avec des roulements effroyables, la pluie tombait à torrents, la mer, blanche d’écume, inondait ses rives avec un fracas assourdissant, le vent soufflait avec furie, faisant craquer les maisons, enlevant les toitures, déracinant les arbres et les tordant comme des fétus de paille.

Les chevaux et les bestiaux échappés des étables, couraient çà et là avec des mugissements de terreur.

L’ouragan, qui menaçait depuis le matin, se déchaînait enfin avec une rage et une force irrésistibles.

Les aventuriers, accourus en toute hâte sur la plage, se sentaient, malgré leur bravoure à toute épreuve, frissonner de peur, et, réfugiés çà et là à l’abri précaire des rochers, ils demeuraient sans courage pour lutter contre l’horrible fléau qui s’abattait sur leur ville et menaçait de la renverser de fond en comble.

Pour ajouter encore à l’horreur de ce spectacle, l’ombre et la lumière se succédaient avec une telle rapidité qu’il était impossible de rien distinguer nettement, et que les objets, même les plus rapprochés, s’effaçaient subitement pour reparaître un instant après, mais toujours enveloppés d’un brouillard roussâtre qui confondait leurs formes et trompait sur leur situation et leur distance réelle. Bref, c’était un effroyable chaos, dans lequel le ciel, la mer et la terre semblaient prêts à se confondre dans un cataclysme horrible.

Cependant, le premier moment de la surprise passé ; Philippe, aidé par