— Mais, j’y songe, don Fernando d’Avila n’est-il pas gouverneur, pour l’Espagne, de l’île de la Tortue ?
— En effet.
C’est un bon soldat et un rude adversaire, nous nous sommes vus de près déjà.
— Je dois, ce soir ou demain, me rendre auprès de lui ; c’est de l’île de la Tortue que nous partirons pour la terre ferme ; vous voyez donc, Philippe, qu’il ne faut plus songer à nous revoir, d’ici à bien longtemps du moins.
— Peut-être, ma bien-aimée ; ne suis-je pas venu ici, au milieu de mes ennemis ? Pourquoi ne parviendrais-je pas à m’introduire dans l’île de la Tortue ? L’un, croyez-moi, n’est pas plus difficile que l’autre.
— Mais si vous étiez reconnu, ce serait la mort pour vous.
— Rassurez-vous, ma bien-aimée, le péril n’est pas aussi menaçant que vous le supposez.
La jeune fille soupira tristement.
— Maintenant, reprit-elle au bout d’un instant, séparons-nous, Philippe.
— Déjà nous quitter ! ma Juana chérie, dit le jeune homme avec prière.
— Il le faut, Philippe, une plus longue absence pourrait éveiller les soupçons. D’ailleurs, ne devons-nous pas nous revoir ? Maintenant, je suis heureuse : j’espère !
— Je vous obéis, Juana ; je pars, puisque vous l’exigez ; un dernier mot encore.
— Dites.
— Quoi qu’il arrive, quelque chose qu’on vous rapporte sur mon compte, il en est une que vous ne devrez jamais croire, c’est que je puisse jamais cesser de vous aimer.
— J’ai foi en vous, Philippe, je ne croirai que vous, je vous le jure.
— Je reçois votre serment, Juana ; il est désormais écrit dans mon cœur en caractères ineffaçables, et maintenant je pars plein de foi et de confiance, ma bien-aimée ; ainsi, je ne vous dis pas adieu, mais au revoir.
— Au revoir, Philippe, répondit-elle en lui tendant la main.
Le jeune homme conserva un instant cette main mignonne dans la sienne, la baisa tendrement à plusieurs reprises, puis, faisant un effort suprême :
— Au revoir, Juana ; au revoir, dit-il d’une voix étouffée.
Il se détourna brusquement et sortit à grands pas de l’église.
Doña Juana le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu sous le porche, puis elle retomba à genoux devant l’autel de la Vierge des Douleurs, en murmurant d’une voix brisée par l’émotion :
— Au revoir, mon bien-aimé Philippe !
— Señorita, dit la suivante qui s’était doucement rapprochée de sa maîtresse après le départ du jeune homme, il y a déjà bien longtemps que nous avons quitté la casa ; ne craignez-vous pas qu’on trouve votre absence bien longue ?
— Ne sommes-nous pas dans une église, ña Cigala ?
— En effet, señorita, dans une fort belle église même ; cependant peut-être