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Don Fernando d’Avila, mon tuteur, n’est pas mon parent, j’en suis certaine. C’est un soldat de fortune qui, selon toute probabilité, ne doit la haute position à laquelle il est parvenu et celle plus haute encore qui lui est promise, qu’aux soins dont il a entouré mon enfance. Voici mon histoire, Philippe, elle est bien courte, bien sombre et bien mystérieuse ; mais je devais à l’amour que j’ai pour vous, je me devais à moi-même de vous la faire connaître, et, convaincue que j’ai accompli un devoir sacré, je me courberai sans me plaindre devant votre volonté, quelle qu’elle soit.

Le jeune homme la considéra un instant avec une expression indéfinissable, où se mêlaient à la fois l’amour, la honte et la douleur.

— Juana, dit-il enfin d’une voix tremblante, vous êtes une sainte et noble enfant ; votre cœur est pur comme celui des anges ! Je suis indigne de votre amour, car, moi, je vous ai trompée !

— Vous m’avez trompée, vous, Philippe ? c’est impossible ! fit-elle avec un radieux sourire ; je ne vous crois pas.

— Merci. Juana… Mais à mon tour de vous faire connaître qui je suis.

— Oh ! je le sais, vous êtes un beau et brave gentilhomme que j’aime ; que m’importe le reste !

— Laissez-moi parler, Juana : lorsque vous saurez tout, vous me condamnerez ou vous m’absoudrez. Je suis gentilhomme, vous avez dit vrai, gentilhomme de grande race même, mais je suis pauvre.

— Que me fait cela, à moi ?

— Rien, je le sais ; mais il me reste un secret à vous dévoiler ; secret terrible qui, lorsque vous le saurez, brisera peut-être à jamais mon bonheur.

— Continuez, dit-elle en hochant la tête avec un mouvement de mutine incrédulité.

— Je ne suis pas Espagnol, Juana,

— Je le sais, fit-elle en souriant ; je sais encore que vous êtes Français, que, de plus, vous êtes un des chefs de cette terrible association de Ladrones, ainsi que les nomment les Espagnols, devant laquelle tremble la puissance castillane : est-ce donc là, Philippe, le secret terrible que vous hésitiez à me révéler ? Allez, mon ami, il y a longtemps que je suis instruite de tout ce qui vous touche ; n’êtes-vous pas une partie de mon être ?

— Ainsi vous me pardonnez !

— Qu’ai-je à vous pardonner, Philippe ? Je ne suis pas un homme, moi ; sais-je même seulement si je suis Espagnole ? Ces querelles et ces haines ne m’intéressent pas ; je suis femme et je vous aime, voilà tout ce qui me regarde.

— Oh ! soyez bénie pour ces paroles, Juana, elles me rendent la vie.

— Vous avez douté, Philippe ?

— Je n’osais espérer, répondit-il doucement.

— Les femmes seules savent aimer, murmura-t-elle avec tristesse ; hélas ! il va falloir nous séparer.

— Oh ! pas encore, rien ne nous presse.

— À quoi bon augmenter notre douleur en prolongeant des adieux cruels ?